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ans, mais d’un jeune homme qui « promet beaucoup. » Il commençait, d’ailleurs, comme tous les auteurs ont commencé, même les auteurs de génie : par l’imitation. Stecchetti et Carducci étaient ses modèles préférés. A celui-là, il empruntait ses principes démocratiques et ses vulgarités de langage ; à celui-ci, ses rythmes « barbares, » tout son appareil mythologique et sa rhétorique ardente. Un progrès sensible se marque au Canto novo, écrit en 1881 et imprimé en 1882. M. d’Annunzio y chante sa jeunesse, ce qui est un bien beau sujet, et sa terre natale des Abruzzes, ce qui n’est pas un sujet moins beau : « Debout sur la montagne, je t’invoque, je t’invoque et te chante, — ô nature, sphinge immense, mon fol amour. » Même pour ses détracteurs les plus passionnés, M. d’Annunzio est un grand « peintre-paysagiste, » un incomparable virtuose de la description. On voit ce côté de son talent se développer dans le Canto novo et dans les ouvrages imprimés ensuite : Terra vergine, Il Libro delle vergini, San Pantaleone. M. d’Annunzio y prend conscience de sa personnalité. La Sieste (San Pantaleone) est bien, comme l’observe M. Gargiulo, « un tableau férocement sensuel et puissamment visible, par conséquent du meilleur Annunzio ; » mais le critique atténue aussitôt par toute sorte de restrictions ce qu’il pourrait y avoir dans ce propos de trop favorable. Après tout, déclare-t-il, ces ouvrages en prose ne révèlent qu’une originalité très relative : Terre vierge montre M. d’Annunzio sous l’influence des vêristes siciliens. Dans la Sieste il recommence un conte de Maupassant. Et dans tous ces écrits on observe déjà cette préoccupation de ce qui est moralement ignominieux et physiquement laid, ce penchant suspect pour les spectacles bestiaux et répugnans, toutes « spécialités » éminemment « annunziennes. » Tare évidente, mais dont il faut rendre responsable la poussée naturaliste, alors dans son plein, au moins autant que l’inclination naturelle du poète. Un artiste, à vingt ans, subit toutes les influences, les meilleures et les pires. Il est fâcheux que les pires prédominassent à l’époque où M. d’Annunzio commença de composer ; mais bien d’autres écrivains, aujourd’hui fameux, ont publié en ce triste temps des récits naturalistes ou vêristes qu’ils seraient désolés de voir exhumer. M. d’Annunzio a eu un tort essentiel. Il avait déjà, à cette époque, beaucoup de talent. Et c’est pourquoi on se rappelle, — et on lui rappelle, — ses