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cocotte de la littérature italienne. » La chronique de M. Scarfoglio se distingue, d’ailleurs, d’un bout à l’autre, sinon par la bienveillance, du moins par la franchise. « Pendant six mois, raconte-t-il encore, Gabriel passa d’un bal à un diner aristocratique, d’une promenade à cheval à un souper en compagnie de crétins blasonnés et pommadés, sans jamais ouvrir un livre, sans jamais fixer son esprit sur une pensée sérieuse. L’art qui, dans l’origine, était pour lui presque un facteur de sa vie devint un jeu puéril pour le plaisir de ces pauvres femmes qui voulaient des sonnets dans leurs albums et sur leurs éventails comme elles veulent sur leurs guéridons de la quincaillerie japonaise. C’est dans cet esprit, dans ce milieu et avec ces moyens que furent écrits les vers indigens et rares recueillis sous le titre d’Intermezzo. »

Scarfoglio enchérit : « Pauvres vers, pénibles et sots. » Et cette fois, décidément, il va trop loin. L’Intermezzo peut déplaire par ce qu’il contient de souverainement artificiel. On peut juger cette poésie mièvre et tourmentée, mais il est parfaitement inique de l’appeler pénible et sotte. Elle n’est rien moins que cela. Elle est tout sauf cela.

L’élan, d’ailleurs, était donné. La transformation de M. d’Annunzio continuera de s’opérer dans le sens manifesté par l’Intermezzo. Les œuvres suivantes, poèmes et romans, sont d’un Annunzio de moins en moins abruzzais et de plus en plus romain. Je laisse à d’autres le soin de le regretter. Il m’est impossible de ne pas admirer, de ne pas aimer Il Piacere (l’Enfant de volupté), l’Isotteo, la Chimera et ces Elegie romane où l’auteur a chanté la Ville Eternelle avec une ferveur d’âme, une justesse d’accent et une beauté de forme dont le secret s’était perdu depuis Gœthe.

M. d’Annunzio avoue qu’il entre beaucoup de lui-même dans Andrea Sperelli, le héros de Il Piacere. Et certes, Andrea Sperelli n’est pas un foudre de vertu ; mais les protagonistes des chefs-d’œuvre de la littérature universelle se distinguèrent-ils jamais autant qu’il serait souhaitable par l’excellence de leurs mœurs ? L’exemple est-il à suivre que donnent la Phèdre de Racine et même le Faust de Gœthe, les héros de Byron et les principaux personnages du roman russe ? L’Italie littéraire, si tièdement catholique, et si hostile, d’ordinaire, à l’esprit puritain, apporte à ses jugemens sur M. d’Annunzio une austérité