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Alors qu’elles enseignaient, en effet, au barde des Odi barbare un haut idéal de vie morale, elles invitaient le troubadour de l’Isotteo à la mollesse et au plaisir. Rome, pour Carducci, c’était la Rome des Césars et des arcs de triomphe ; Rome, pour M. d’Annunzio, c’est la Rome des villas, des églises trop pompeuses et des fontaines. Et peut-être cette Rome qu’il a chantée est-elle moins digne de chants que celle de son devancier. Mais cette Rome de second ordre, elle n’a pas arraché, après tout, à M. d’Annunzio des accens moins admirables dans leur genre qu’à Giosuè Carducci.


II

Une sensualité sans bornes est une source intarissable de mélancolie. L’art littéraire de M. d’Annunzio en offre la preuve. Soit que l’atavisme chrétien influât malgré tout sur ses pensées, soit que la fatigue physique née du plaisir l’inclinât aux idées tristes, l’Enfant de Volupté traversa, au lendemain de sa période romaine de désordre tumultueux, une crise de désenchantement d’où sortit une crise de charité ou, plus exactement (puisqu’il n’entrait dans ce sentiment rien de religieux), d’altruisme. Certains portraits, certains tableaux répandus dans Il Piacere laissaient prévoir cette orientation nouvelle. N’y a-t-il pas comme un aveu dans ce croquis de « Bébé Silva : » « Bébé Silva fumait, buvait des petits verres de cognac vieux et racontait des choses énormes avec une vivacité artificielle. Mais elle avait des momens très étranges de prostration, de fatigue où il semblait que quelque chose lui tombât du visage et que, dans sa figure effrontée et obscène, entrât je ne sais quelle petite figure triste, misérable, malade, pensive, plus vieille que la vieillesse d’une guenon phtisique qui se retire au fond de sa cage pour tousser après avoir fait rire le monde. »

L’Innocente, qui s’appelle en français l’Intrus et qui parut en 1892, témoigne de cette humeur nouvelle chez M. d’Annunzio. Tullio Hermil, c’est encore Andrea Sperelli et c’est encore Gabriele d’Annunzio, soit une nature à la fois intellectuelle et sensuelle ; mais une bonté éperdue, mais une tendresse univers selle remplacent chez Tullio Hermil l’égoïsme féroce d’Andrea Sperelli, — ce qui n’empêche pas, d’ailleurs, Tullio Hermil de commettre, sous l’empire de la jalousie, un crime horrible Quand