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Caërdal. » Ceci encore : il y a, dans la pensée de Caërdal et dans son œuvre, une apparence de désordre ; c’est abondance. Mais, ce désordre, il le maîtrise. L’art ne consiste-t-il pas à maîtriser le désordre ? Car l’ordre est la vie et la durée ; et l’art, qui est le vœu de la durée, ne fait qu’organiser le désordre. Caërdal aime les chants populaires : c’est qu’au triomphe de sa puissance il associe les multitudes. Caërdal aime surtout la musique ; c’est qu’elle évoque et, disons, ramasse tout le détail que les simples mots laissent échapper, gaspillent. Voilà son esthétique. Une esthétique de vive souffrance, dit-il. Et d’orgueil ! Il s’intitule « vrai condottière de la beauté ; » il s’est croisé « pour servir l’art véritable et la cause de la grande action : » la grande action, la beauté.


Quant à l’orgueil de Caërdal, M. André Suarès a écrit ailleurs (Sur la Vie, à propos de Charles Baudelaire) : « Il faut être orgueilleux avec les hommes, modeste avec son œuvre et bien humble avec l’art. » Après avoir été, pendant beaucoup de pages, très orgueilleux avec les hommes et, notamment, avec son lecteur, Caërdal a de ces phrases qui font qu’aussitôt on lui pardonne. Il y a souvent à lui pardonner. Il vous traite sans ménagement. Il n’a aucune complaisance ; on l’en félicite. Mais il n’a aussi nulle obligeance : et je me trompe ou l’on n’évite pas toujours d’être un peu impatienté, ne fût-ce qu’un instant. Il méprise la facilité. Il la méprise, par exemple, chez Musset, et hardiment. Ce qu’il blâme alors, c’est la facilité avec laquelle écrit ce poète : or, le poème écrit facilement se lit de même. Et Caërdal : « Que la facilité est donc une vertu perfide ! C’est un don puéril, et proprement le génie des enfans… » Il appelle Musset un enfant bien doué, « trop précoce pour être artiste. » Je ne suis presque pas de son avis. Mais il ajoute : « Dans l’œuvre du grand artiste, il doit y avoir beaucoup de peine, et de la grande peine ; il ne faut pas qu’on l’y sente, peut-être ; mais il faut que la difficulté y soit. La douleur de créer est une loi sévère. Je ne crois pas aux œuvres faciles ; elles sont facilement oubliées. Tout doit venir de loin, pour aller loin. » Je suis un peu de son avis. Je l’approuve de protester (laissons le génie de Musset) contre des œuvres si faciles qu’en vérité l’on n’y devine pas une volonté réfléchie. Ces petites œuvres, qui flattent la paresse du lecteur, ont l’inconvénient d’abaisser l’art d’une époque. Elles vous gâtent le lecteur : ensuite, il refuse une nourriture plus forte. Notre littérature contemporaine ne s’est-elle pas du tout avilie, de cette manière ?

Je ne crois pas qu’un écrivain doive se faire un idéal de l’extrême