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Cependant, j’avoue que, dans ces deux livres, les trésors charmans et magnifiques sont très durement confondus, mêlés aussi de quelques bijoux moins rares. Et nous nous embrouillons ; l’auteur ne nous aide pas à nous débrouiller. L’auteur ne nous aide jamais. L’auteur ne nous aime pas ; l’auteur nous hait et nous méprise. « Il faut être orgueilleux avec les hommes : » il nous traite en hommes.

Il nous maltraite surtout dans ces deux livres, Voici l’homme et Bouclier du Zodiaque. Ailleurs encore, par endroits, il a peu de ménagemens. Mais, comme il nous enchante aussi, n’allons pas le traiter avec tant de désinvolture. Avec son goût de la difficulté, s’il a tort, il a du moins ses raisons qui, en quelque manière, nous inciteraient à lui donner raison. Plusieurs de ses pages, et de ses livres, sont obscurs, et voire le sont terriblement, parce qu’il a refusé de suivre pas à pas la marche lente de l’idée. Il brûle les étapes ; il brûle celles qui ne lui plaisent pas : il ne consent à s’arrêter qu’aux splendides étapes. Une idée qui se développe n’est pas à tout moment splendide. Elle a son chemin dans un pays très inégal ; et, avant d’arriver à des sommets, elle a longé des routes mornes et plates ; puis elle descend d’un sommet pour en gagner un autre par ces routes. Eh bien ! très souvent, M. André Suarès nous fait sauter d’un sommet à un autre, de telle façon que le bond nous a un peu étourdis. Il dédaigne les routes plates et mornes. Plutôt que de nous y mener, il nous fatigue sans pitié. Quelquefois, il nous a laissés sur les routes : et il est déjà parti ; nous n’avons pas su l’accompagner. Mais s’il résout ainsi, à sa guise violente, le problème de suivre une idée, du moins a-t-il, en véritable artiste, conscience du problème, l’un des plus embarrassans de la littérature et de l’art. Flaubert, écrivant pour le théâtre, se désolait de rédiger des phrases telles qu’on en débite naturellement, telles qu’il faut bien qu’on en prête à ses bonshommes et bonnes femmes : le théâtre imite la vie, où l’on n’est pas éloquent, et poète beaucoup moins. Dans les rapports qu’ont ensemble l’art et la réalité, qui pâtira ? Il y a, parmi la réalité, du médiocre : l’artiste est bien tenté de l’éconduire. S’il éconduit tout le médiocre, le reste s’écroule. Pareillement, il y a du médiocre à traverser, dans le passage d’un élément à l’autre d’une idée ; et il est périlleux de supprimer tout le médiocre. Mais on le peut consacrer, en lui imposant le style. C’est, il me semble, ce que fait Flaubert dans ses romans. C’est aussi ce que fait M. André Suarès de temps en temps. S’il ne supprime pas ces intermédiaires que je disais et qui conduisent d’une idée à la suivante, et qui n’ont pas d’autre valeur que celle-là, et qui ont ce rôle humble et honorable, il