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du temps qu’il a passés chez nous, mais supportant cette épreuve, qui dure depuis treize ans et qui est si cruelle pour un homme de son talent et de sa position, avec une sérénité vraiment sublime : jamais de plainte, jamais le moindre murmure, et dès qu’il se remet assez pour parler à un ami, jamais le moindre retour sur un état de santé qui a détruit le bonheur et l’utilité de sa vie. « Je ne suis pas pieux, me disait-il, je ne sais pas prier comme il faudrait. Je ne puis offrir à Dieu que mes souffrances. Je sens que Dieu m’a donné pour carrière, pour besogne ici-bas, de souffrir, et j’accepte sa volonté ; je ne veux pas que mes plaintes de jour diminuent le mérite de mes nuits d’angoisse. » Vous ne m’en voudrez pas de vous raconter ce trait bien propre à augmenter votre affectueuse estime pour ce grand cœur, si indignement méconnu par toute la tourbe veuillotiste, et trop peu apprécié même à Rome, où il a eu la gloire de faire rentrer le Pape pendant son trop court ministère.

J’attends avec impatience des nouvelles de votre installation à Vienne et de vos projets pour cet hiver.. Je ne sais ce qu’il faut désirer pour vous. Je conçois très bien les raisons matérielles qui vous font redouter une nouvelle absence : je pense aussi que l’éducation de vos fils doit souffrir de ces trop longs voyages. D’un autre côté, je comprends l’attrait qui vous tourne vers Rome, et comme je me figure que Rome vous mettra plus ou moins sur le chemin de Paris, ou de quelque endroit où je pourrai vous rencontrer, je penche pour ce dernier parti. Le changement du ministre des Affaires étrangères de France démontre que l’intention de l’Empereur est de ne pas abandonner Rome quant à présent. Nul ne connaît les causes de ce revirement dans sa politique, nul ne peut en prévoir les résultats ultérieurs. Comprenez-vous tout ce qu’il y a d’humiliant pour la France, pour l’Europe, et j’ajoute pour l’Église, à dépendre ainsi du caprice d’un seul homme... Et quel homme ! Hélas ! non, chère Comtesse, je crains que vous ne compreniez pas tout cela, parce que vous êtes très absolutiste. C’est une querelle avec vous : il faut bien se disputer un peu entre amis, pour ne pas s’ennuyer par trop de tendresse.

Si vous passez l’hiver à Vienne, me permettrez-vous de vous indiquer un Belge, nommé de Haulteville, qui est là, pour des affaires d’industrie. C’est un publiciste catholique tout à fait distingué, qui a été professeur à l’Université de Gand, puis destitué