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d’avance la justification de ce que fait ma fille, en même temps que la condamnation de mes plaintes et de mes larmes d’aujourd’hui. Personne ne me plaindra. Les bons diront que je suis très heureux de pouvoir abandonner à Dieu ce que j’ai de mieux. Les mauvais diront que je n’ai que ce que je mérite, pour avoir toujours défendu le fanatisme et la superstition personnifiés dans les ordres religieux. Non, personne ne me plaindra, peut-être pas même vous que je viens de fatiguer d’un si long récit. Mais, je vous en supplie de nouveau : n’en parlez à personne.

Ce coup si douloureux et si imprévu m’a atteint le lendemain même de ma défaite électorale ; il a beaucoup amorti pour moi la lourdeur de ma chute politique. J’étais entré dans cette lutte avec très peu d’espoir et très peu de désir d’y réussir. Recommencer une carrière oratoire après douze ans de silence, c’était une entreprise très chanceuse, à peu près comme celle d’un colonel invalide qui se chargerait de conduire un régiment de cavalerie au feu après avoir passé douze ans sans mettre le pied à l’étrier. Je ne m’y étais décidé que par fidélité aux principes et aux antécédens qui m’ont toujours fait condamner l’abstention politique comme la plus grande des fautes. Mais quand j’ai vu tous les anciens chefs du régime parlementaire changer tout à coup de tactique et reprendre, comme je le leur avais toujours conseillé, une attitude militante, j’ai désiré retrouver mon ancienne place à leur côté. Je n’ai pas réussi, parce que j’ai eu contre moi, en Bretagne, un évêque servile, et parce qu’en Franche-Comté, le clergé qui, malgré les calomnies de M. Veuillot, m’a énergiquement soutenu, a perdu tout empire sur les populations. MM. Keller, Cochin, Falloux, tous les candidats catholiques, en un mot, ont échoué comme moi. C’est la conséquence naturelle de la politique insensée que l’Univers et le Monde, si approuvés à Rome, ont inspirée pendant dix ans d’impérialisme au clergé et aux fidèles. J’en ai pris mon parti assez vite et n’ai rien ressenti de pareil aux amertumes dont j’ai été abreuvé après le coup d’Etat qui avait non seulement brisé ma position, mais dispersé et déshonoré mon armée.

Je vois avec peine que vous êtes redevenue souffrante. Ce séjour près de dix jours à Civita-Vecchia indique une délicatesse bien compromettante pour votre avenir. Etes-vous déjà à Ems ? Je le suppose et j’y adresse à tout hasard cette lettre. Je