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petit moment pour me rassurer. Vous m’avez fait tort en me jugeant si mal, je ne vous le pardonne pas, mais je tâcherai de l’oublier, surtout si vous expiez votre faute en m’écrivant souvent et beaucoup. Je vous ai bien dit que vous m’aviez trop gâté dans le commencement de nos relations et que vous vous en repentiriez. Vous aurez de la peine à vous débarrasser de moi !

Je suis revenu très triste de ce court trajet que nous avons fait ensemble, car je vous avais trop peu et trop mal vue, mais encore plus attaché à vous et sous le charme que vous avez exercé sur moi dès que je vous ai connue. Votre état de souffrance m’a ému ; puis un mot que vous m’avez dit en passant m’a montré que vous aviez des chagrins de famille ; qui donc n’a pas de ces chagrins ? Je vous assure que je ne pourrais nommer personne parmi les gens que je connais et que j’aime qui n’en soit pas là. C’est un des plus grands et des plus douloureux mystères de la toute-puissance divine, que d’avoir ainsi placé l’amertume au sein des affections les plus légitimes et les plus naturelles.

Le malheur auquel je n’étais que trop préparé, quand je vous ai rencontrée, s’est consommé quatre jours plus tard. Je vous fais renvoyer par la poste de Paris le récit des derniers jours du Père Lacordaire, par son disciple et ami, le Père Chocarne. Vous verrez qu’il est mort comme il a vécu, avec la simplicité et l’énergie d’un saint. Plus vous connaîtrez cette grande âme, et plus aussi vous l’aimerez, je l’espère du moins. Pour moi, et pour tous ceux qui pensent comme moi, c’est une perte irréparable.

J’ai reçu votre plan de Vienne, et vous en remercie tendrement. Je ne sais pourquoi je vous ai blâmée de me l’avoir envoyé par la poste ; c’est peut-être parce qu’il n’était pas sous bande ; cela a dû vous coûter beaucoup plus cher. Rappelez-vous cela, chère Comtesse, en bonne mère de famille, qui ne doit pas vouloir faire des dépenses inutiles. Ce plan me sera très cher, comme tout ce que me vient de vous. J’ai très bien reconnu l’endroit où vous demeurez à Vienne, tout près du palais où j’ai été sous votre protection voir le Comte Szécsén[1] et le Comte Rechberg.

  1. Le comte Antoine Szécsén, qui était ministre, ambassadeur et maréchal de la Cour, père du comte Szécsén, ambassadeur d’Autriche-Hongrie à Paris.