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texte complet de mes deux discours, mais il paraît que ma commission n’a pas été faite. Je tiens à réparer cette erreur. Vous recevrez donc incessamment ce petit volume, que je vous prie de regarder comme mon testament politique et religieux, car ce sera probablement la dernière fois de ma vie que je parlerai en public. Je désire que vos fils, quand ils seront plus grands, soient engagés, par vous, à lire ces pages où ils trouveront peut-être des enseignemens utiles pour leur avenir. L’Autriche et la Hongrie vont s’engager de plus en plus dans les voies du libéralisme et de la démocratie. On peut le regretter, mais on ne peut plus l’empêcher. Je suis de plus en plus convaincu que ces voies peuvent être des voies de salut, si les honnêtes gens, si les bons catholiques surtout savent accepter résolument les conditions de la vie moderne et s’astreindre aux obligations de la lutte et de la responsabilité, qui font tout le mérite et tout l’honneur de la vie d’ici-bas.

Je remercie humblement et sincèrement le bon Dieu de ce qu’il m’a accordé la grâce d’être compris et approuvé de vous, en cette circonstance critique de ma carrière, car vous m’apparaissez, de plus en plus, comme l’amie et la consolatrice de mes vieux jours. J’ai beaucoup de chagrins et de toutes sortes. C’en eût été un de plus et un très grand, si nous étions restés divisés sur le fond des choses dans l’ordre politique. Je ne vous reproche pas du tout d’être aristocrate ; comme vous le dites, je le suis aussi et tout autant que vous ; seulement, je reconnais deux sortes d’aristocraties comme aussi deux sortes de démocraties. Je suis pour l’aristocratie qui revendique, en guise de privilège, le droit de se dévouer, de s’exposer, de se compromettre et de travailler plus que les autres pour la vérité, la justice et l’honneur, au lieu de se reposer aveuglément sur les gouvernemens, sur la force matérielle, pour protéger la religion et l’ordre public. L’aristocratie hongroise, comme l’aristocratie anglaise, malgré de grands vices et de grandes taches, dans leurs deux histoires, a très bien compris la véritable mission de l’ancienne noblesse dans le monde moderne, et je souhaite ardemment que vos fils comprennent toute l’importance du rôle qu’ils auront à jouer un jour. Mais voilà assez de politique pour aujourd’hui. Unis par les idées, autant que le comporte la différence de nos situations, j’espère que nous le serons encore bien plus par le cœur ; c’est pourquoi je vous