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que d’être déconcertante pour l’historien, et surtout pour l’historien catholique : Thureau-Dangin, qui n’a point échappé à cette impression de déconvenue, s’en est très franchement expliqué. Une persécution plus que séculaire avait conduit les catholiques anglais à se replier sur eux-mêmes, à se défier de tout élément étranger, à fuir le contact de leurs compatriotes et de leurs contemporains ; quelques esprits vigoureux, comme Wiseman, réagissaient seuls contre une telle tendance. Newman, venu au catholicisme par le seul effort de sa méditation personnelle, gardant sa culture de lettré et sa formation universitaire, parut suspect aux fidèles de vieille roche. De plus, d’autres convertis, comme Manning et George Ward, amenés surtout au catholicisme par le besoin d’une discipline, inclinés à l’intransigeance par la ferveur même de leur zèle de néophytes, n’hésitèrent point à accuser de faiblesse, de complaisance pour l’erreur, celui qui demeurait en deçà de leurs thèses outrancières. De là, une période de conflits, ou plutôt de malaises, aussi douloureux que prolongés : souvent dénoncé à Rome, entravé ou désavoué toutes les fois qu’il était question pour lui de faire œuvre d’activité extérieure ou d’apostolat, le plus éminent des convertis vivait dans la retraite à Birmingham, ne rompant le silence que pour réfuter d’ineptes calomnies par son immortelle Apologia, ou pour donner une orientation nouvelle à la philosophie religieuse par la Grammar of Assent. Celui dont les écrits ne cessaient de gagner des recrues au catholicisme se sentait en butte à l’hostilité dénigrante d’une partie de ses coreligionnaires. « Il n’est peut-être pas inutile, » remarquait Thureau-Dangin en 1912, a de pouvoir ainsi mesurer, par ce qu’en a pu souffrir l’âme d’un Newman, ce qu’a de détestable et de malfaisant cet esprit de division et de suspicion dont les catholiques les plus ardens ne savent pas toujours se préserver. »

Ce « drame » angoissant, comme le qualifiait celui qui l’avait raconté en termes si sobrement pathétiques et si appropriés à la dignité du sujet, ce drame se termina heureusement en apothéose, par la magnanime intervention de Léon XIII. A peine celui-ci était-il monté sur le trône pontifical que les deux plus grands seigneurs du catholicisme anglais, le tory duc de Norfolk et le whig marquis de Ripon, le suppliaient de mettre fin par une distinction éclatante à une disgrâce dont la prolongation scandalisait les Anglais de toute religion et de tout parti.