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Et je crois qu’il n’était pas très content de lui ni du cours que prenait sa destinée.

Il était venu à Paris pour y faire de la littérature : il n’en avait pas fait beaucoup. Il avait commencé plusieurs travaux : il ne les avait pas menés à bien. Il avait essayé d’organiser son existence, pratiquement et moralement : aucune de ses tentatives n’avait réussi. Il avait vécu un peu au hasard, non qu’il fût très aventureux ; même, il ne l’était pas du tout. Et il eût aimé des journées quiètes, où il pût lire, songer, travailler à la perfection de son esprit : et les circonstances l’avaient jeté dans le tumulte. Il avait fait du journalisme : un peu. Mais il n’allait pas assez vite et il ne possédait pas, lui si réfléchi, la gaillardise que ce genre exige. Ses articles ne le satisfaisaient pas ; et ils arrivaient toujours en retard. Il avait compté sur les philosophes, pour qu’ils devinssent ses maîtres : et il avait eu auprès d’eux maintes déceptions. Il avait rencontré des amis, la plupart imparfaits : et notamment Fontanes. Avec ce drôle d’homme, il s’était mis en tête, sinon de s’enrichir, au moins de gagner sa vie : et cela ne se fit pas. Les entreprises, parfois audacieuses, où ils se lancèrent n’aboutirent à rien de bon. Puis Fontanes avait une allure que Joubert hésitait souvent à suivre. Il était jeune ; et il avait eu des histoires d’amour, dont il ne gardait ni joie ni fierté. Il avait vécu assez mal, sans faute grave, mais tout autrement que sa jeune sagesse ne l’eût voulu.

En 1786, Mme Joubert, devinant probablement le marasme où il était, profita de l’occasion que lui offrait l’installation parisienne d’Arnaud, son fils cadet, pour venir à Paris voir ce qui, somme toute, se passait. Avant de retourner à Montignac, elle alla faire une visite de quelques jours à un cousin Desmonds, un ancien militaire, qui s’était retiré à Villeneuve-le-Roi, près de Sens. Elle emmena Joseph : et il connut ainsi cette petite ville, qui tout de suite l’enchanta et qui devait le prendre à Montignac et à Paris, plus tard. Ce pays, dit Arnaud Joubert[1], « nous charma d’abord par sa riante position, ses agréables vallons, ses coteaux les plus beaux de tous les pays de vignobles et ses charmantes promenades, surtout par une allée de peupliers d’une lieue de long. » Joubert aima si bien Villeneuve-le-Roi qu’il y revint, pour un plus long séjour, à la fin de 1787.

  1. Souvenirs inédits. (Archives de M. Paul du Chayla.)