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J’ai vu à Londres votre neveu, le comte Alexandre Apponyi[1], qui m’a beaucoup plu par son patriotisme hongrois, car vous savez que je fais grand cas de ce sentiment. Je m’incline avec un tendre respect devant les Saints comme le Duc de Norfolk. Mais je me détourne avec douleur de la mollesse et de la bêtise de ces gentilshommes, comme il s’en trouve par milliers dans la noblesse française, belge, allemande, qui, élevés par leurs parens ou par des prêtres dans une ignorance et une inintelligence complètes des conditions de la société moderne, ne servent de rien, ni à la religion, ni à leur pays, ni à eux-mêmes. Je vous plains profondément d’avoir perdu cet abbé, qui m’avait beaucoup plu. Dieu veuille que vous puissiez le remplacer convenablement !

Je vous envie beaucoup, chère Comtesse, le bonheur d’avoir été à Rome pendant cette grande et belle réunion des évêques. J’ai eu tout de suite des détails précieux sur cette solennité par l’évêque d’Orléans, chez qui j’ai été à mon retour d’Angleterre, et qui va venir passer dix jours ici, samedi prochain. Vous aurez joui des dernières splendeurs de la Rome Papale, car il est évident, d’après les dernières publications du Moniteur, que notre nouveau Charlemagne, comme l’appelaient sottement nos évêques impérialistes, veut démolir l’œuvre du vrai Charlemagne. Nous verrons le Pape exilé, errant de par le monde, comme tant de ses prédécesseurs, mais au sein d’une Europe bien au-dessous de celle d’autrefois. Ce spectacle sera du reste, j’en ai la confiance, fécond en consolations, et en réparations. L’Église avait besoin de cette épreuve pour remonter à la hauteur de son auguste mission, au milieu de cette société moderne qui ne la comprend pas, et qu’elle ne comprend pas non plus, mais que l’on essayerait en vain de ramener dans les voies du passé. Outre l’évêque d’Orléans, j’attends ici le prince de Broglie, notre ami, comme M. de Falloux et M. Cochin. Nous délibérerons ensemble sur ce qu’il conviendra de faire, ou plutôt de dire pour protester contre l’odieuse iniquité qui va se consommer.


MONTALEMBERT.

  1. Le comte Alexandre Apponyi, un des premiers Bannerets de la Hongrie, Grand Trésorier, est aujourd’hui l’un des plus anciens membres de la Société des Bibliophiles français.