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ouvrages de l’esprit. Cette méthode, — si c’en est une, — avec certains inconvéniens, offre bien des avantages. Elle en offre surtout dans le cas de M. France, qui est avant tout un esprit discursif, aussi peu régulier et systématique que possible, et qui vaut surtout quand on lui laisse tout son jeu et toute son ouverture. Et d’abord, pour le style. Dès ses toutes premières « causeries » littéraires, il trouvait, pour traduire ses « impressions, » une forme charmante, souvent un peu poétique, et dont la vivacité originale n’avait jamais mieux son emploi que lorsqu’il s’agissait de caractériser un poète. Sur les Poèmes saturniens de Verlaine : « C’est tournoyant, vertigineux, fou et grave... La Muse, comme une belle femme, doit avoir le col flexible et les reins souples, mais il est inutile qu’elle prenne à chaque instant ses talons avec ses dents, comme il est d’usage parmi les acrobates[1]. » Sur le Reliquaire, de Coppée : « Ce qui est à lui, c’est un sentiment de douce mélancolie que voile vaporeusement le tissu très serré de sa poésie ; M. Coppée a le rare talent, tout en peignant très solidement des scènes et des paysages, de les estomper délicieusement avec le je ne sais quoi qui est le charme et qui est le rêve, cette chose sympathique et communicative, au point que, quand on lit, on croit qu’elle vient de soi, et que c’est soi qui la met[2]. « Sur les Intimités, du même Coppée : « Une vingtaine de poésies au crayon, sans ordre, sans lien, pleines de naïveté et de science, exquises, gardent ces souvenirs comme autant de bouquets de violettes séchés dans le tiroir qu’ils ont parfumé[3]. » Sur l’abbé Cottin, enfin : « Vous fûtes très libidineux, cher abbé ; de plus, vous fûtes très sot et, à ce titre, vous étiez très digne d’entrer dans la galerie des « grotesques d’autrefois, » que M. Larousse vient d’inaugurer par votre portraiture de main de maître, très exactement, et pourtant très finement, qu’il dessina avec le sourire discret d’un honnête homme qui fustige un maître sot comme vous[4]. »

Et l’on pense bien que ces juvéniles qualités de style n’ont fait que s’affiner et se développer avec les années. Il suffit d’ouvrir au hasard un volume de la Vie littéraire, pour rencontrer, avec de si piquantes et neuves formules, une de ces pages ingénieuses,

  1. Le chasseur bibliographe, février 1867 (non recueilli en volume).
  2. Id. ibid. (non recueilli en volume).
  3. Gazette bibliographique, 20 avril 1868 (non recueilli en volume).
  4. L’Amateur d’autographes, 1er mai 1867, p. 143 (non recueilli en volume).