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avait réveillé, irrité peut-être son ancienne foi philosophique, qu’on aurait pu croire toute prête sinon à abdiquer, tout au moins à s’apaiser et à s’endormir sur le mol oreiller d’un élégant scepticisme. Gêné, à ce qu’il croit, par toutes ces clameurs « réactionnaires » dans sa pleine liberté de penser et d’écrire à sa guise, il va désormais devenir plus sévère aux nouvelles tendances « mystiques » qui se font jour dans la pensée contemporaine. Il ne se piquera plus maintenant de vouloir tout comprendre. Comme Voltaire, il nous parlera de l’ « inhumanité » de Pascal, et il le traitera de « fanatique. » Comme Voltaire encore, il verra en lui non seulement un « malade, » mais un « halluciné. » Comme Voltaire enfin, il nous dira de la foi de l’auteur des Pensées qu’ « elle était lugubre, qu’elle lui inspirait l’horreur de la nature et en fit l’ennemi de lui-même et du genre humain ; » qu’ « il se reprochait niaisement le plaisir qu’il pouvait trouver à manger d’un plat ; » que « l’excès de sa pureté le conduisait à des idées horribles[1]. » Et enfin, dans un article, d’ailleurs bienveillant, sur le « malaise de l’esprit nouveau, » parlant des croyances de sa jeunesse, il laissera échapper le mot décisif : « Nous étions persuadés qu’avec de bonnes méthodes expérimentales et des observations bien faites nous arriverions assez vite à créer le rationalisme universel. Et nous n’étions pas éloignés de croire que du XVIIIe siècle datait une ère nouvelle. Je le crois encore[2]. » L’esprit de « grand’maman Nozière » semble l’avoir emporté sur toutes les autres influences.

Et M. Jules Lemaître, dans un très bel article sur M. France, pourra bientôt écrire : « On a vu depuis quelques années croître magnifiquement ce que des théologiens appelleraient son esprit de malice et son impiété. Nous sommes un peu redevables de cette évolution au plus impérieux de nos critiques : c’est M. Brunetière qui, en morigénant M. France, l’a contraint à sortir, pour ainsi parler, tout le dix-huitième siècle qu’il avait dans le sang[3]. » On ne saurait mieux voir, ni mieux dire. Encore gênés et parfois dissimulés dans les chroniques de la Vie littéraire, cet « esprit de malice » et cette « impiété » vont s’étaler librement dans les romans et les contes.

  1. Vie littéraire, t. IV, p. 33, 216, 217, 218.
  2. Id. ibid. p. 43.
  3. Jules Lemaître, les Contemporains, t. VI, p. 373.