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vanité. La politique ? En voici tout le mystère : « Si l’on se mêle de conduire les hommes, il ne faut pas perdre de vue qu’ils sont de mauvais singes. (Voltaire n’avait-il pas dit déjà quelque chose d’analogue ?) A cette condition seulement on est un politique humain et bienveillant. » La philosophie ? La science ? Pures billevesées dont nous trompons notre éternelle ignorance. « L’homme est par essence une sotte bête, et les progrès de son esprit ne sont que les vains effets de son inquiétude. C’est pour cette raison, mon fils, que je me défie de ce qu’ils nomment science et philosophie, et qui n’est, à mon sentiment, qu’un abus de représentations et d’images fallacieuses... Les plus doctes d’entre nous diffèrent uniquement des ignorans par la faculté qu’ils acquièrent de s’amuser à des erreurs multiples et compliquées... Ils découvrent des apparences nouvelles et sont par là le jouet de nouvelles illusions. Voilà tout ! Si je n’étais pas persuadé, mon fils, des saintes vérités de notre religion, il ne me resterait, par cette persuasion où je suis que toute connaissance humaine n’est qu’un progrès dans la fantasmagorie, qu’à me jeter de ce parapet dans la Seine... Je hais la science, pour l’avoir trop aimée, à la façon des voluptueux qui reprochent aux femmes de n’avoir pas égalé le rêve qu’ils se faisaient d’elles. J’ai voulu tout connaître et je souffre aujourd’hui de ma coupable folie. » Et il en va de même pour ce que l’on appelle justice, morale, pudeur : sunt verba et voces... Il y a, dans les Opinions, tout un chapitre intitulé Monsieur Nicodème, qui est destiné à ridiculiser l’un des sénateurs les plus respectables et les plus justement respectés de la troisième République. On souffre de voir un écrivain comme M. France prêter ici main-forte à certaine presse trop intéressée à railler la vertu, ou même à maint directeur d’entreprises louches et bassement immorales. Eh quoi ! maître Jérôme Coignard, fallait-il donc vous prendre au mot, quand vous nous déclariez tout à l’heure que vous ne vous êtes « jamais fait une idée exagérée du péché de la chair ? »

Ce n’est pas d’ailleurs le seul « préjugé » que le truculent abbé prenne plaisir à battre en brèche. « De bonne foi, Tournebroche, mon fils, qu’est-ce que la peine de mort, sinon l’assassinat perpétré avec une auguste exactitude ? » Et il n’a pas assez de sarcasmes pour les « atrocités » des conseils de guerre, et pour « ces justices de gens à sabres, qui périront un