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tuberculose, mais non pas de déclarer au tuberculeux qu’il est perdu. Objection de peu de portée et à laquelle nous ne nous arrêterons pas. Il s’agit de nous présenter une malade qui se sait ou se croit condamnée. Le moyen dont s’est servi M. Bataille est un « moyen de théâtre » qui en vaut un autre et sur lequel il n’y a pas lieu de le chicaner... La brutale déclaration du médecin a été pour Thyra un coup de massue. Alors, elle est allée prendre, dans un bal d’étudians, le premier venu, et elle s’est donnée à lui.

Entre cette cause et cet effet nous continuons à ne pas saisir le lien. Nous comprenons, sans trop de peine, que Thyra renonce à faire de la sculpture ; et nous comprenons que, par un scrupule de délicatesse, elle renonce à épouser Philippe. Nous comprendrions qu’elle partît dans le Midi pour se soigner, ou qu’elle se jetât par la fenêtre pour en finir. Nous comprendrions tout, excepté ce geste de fille... Mais voilà ! De Byron à Baudelaire, tous les poètes de l’école lui ont vanté les émotions diaboliques et les jouissances perverses de la Débauche. Elle sait maintenant à quoi s’en tenir et que sous ces poétiques oripeaux se cache la plus plate, la plus vulgaire, la plus ignoble des réalités. Le prince est philosophe, et il est pratique : « Évidemment, remarque-t-il, vous ne pouvez plus être ma femme ; mais rien ne vous empêche d’être ma maîtresse. » Ainsi sera-t-il.

A quels êtres avons-nous affaire ? Quand Philippe dit à Thyra : « On n’acquiert pas, en une minute, certains instincts : il fallait qu’ils fussent déjà en vous, » il parle d’or. De toute évidence, cette malheureuse est la victime d’une tare physiologique, d’une perversion sensuelle qui, sous le coup d’une violente émotion, vient de se révéler. Mais lui-même, le prince, et puisqu’il n’a pas l’excuse de la maladie, quel nom lui donner ? Se peut-il qu’il change si aisément ce culte enthousiaste en cette abjection ? Quel homme est-il pour recevoir des bras de ce passant, cette maîtresse souillée, comme si son désir avait jailli de cette boue ? Pourtant, et quoi que nous pensions de ces tristes personnages, il en est un autre qui les dépasse et auquel il nous est bien impossible de ne pas exprimer tout notre dégoût. C’est l’individu qui accompagnait Thyra, Lignières, le chanteur mondain. Il assiste, protecteur, aux débuts d’une jeune fille dans le dévergondage. Il la laisse, d’un regard bienveillant et peut-être amusé, s’abandonner à ce grossier vertige ! Il prend je ne sais quelle vaine jouissance à frôler ce vice qui s’essaie... Ah ! celui-là, il est complet !

Troisième acte. En Sicile. Thyra, le prince, Mme de Marliew, Lignières se sont mis à voyager de compagnie. Tourisme, yachting, snobisme,