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Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/447

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marine. Mais alors, comment ne pas signaler un cas, qui d’ailleurs ne lui est pas particulier ? Chaque fois que nos écrivains, même patriotes, même militaristes, mettent dans leurs livres ou à la scène des officiers de terre ou de mer, c’est pour nous conter des histoires de femme, des trahisons, des vols, des abus de confiance et de stupéfians, des velléités de désertion, des professions de foi pacifiste... Leurs intentions sont louables : le résultat l’est moins. Si donc une loi dramatique, que j’ignore, empêche qu’on fasse une pièce maritime sans y mettre un officier opiomane et un drame militaire sans y introduire un officier en révolte, je demande instamment qu’on laisse les soldats à la caserne et les marins à leur port d’attache, et que les auteurs dramatiques prennent exclusivement leurs personnages dans le civil.

Mme Suzanne Desprès a composé avec beaucoup d’art et joué avec beaucoup de vigueur le rôle d’Hassouna. M. Tarride a de la chaleur et de la dignité, dans le rôle de Cadière. J’ai dit le grand effet produit par la maîtrise de M. Lérand, dans un rôle qui n’a qu’une scène.


Le procureur Hallers est une pièce qui ressortit au théâtre d’épouvante. C’est un cas de psychologie morbide, — le phénomène du dédoublement, — mis à la scène, avec le grossissement que comporte la scène. Un magistrat est à sa table de travail : il compulse ses dossiers et remplit sa fonction avec la conscience la plus lucide et le sentiment du devoir le plus intraitable... Cependant la soirée s’avance ; l’honnête magistrat, comme mû par un ressort, se lève, ôte sa redingote, endosse un veston, se coiffe d’une casquette plate : le voilà de- venu apache. Nous le trouverons à l’acte suivant dans un bouge, en compagnie d’escarpes dont il est devenu le chef, sous le sobriquet du « prince. » Dans la partie nocturne de son existence, il n’a aucun souvenir de son existence diurne. Le « prince » ignore absolument le « procureur ; » il fait mieux : il « indique » à sa bande un coup à faire chez le procureur Hallers : il se cambriole lui-même !... Les effets sont ici tellement gros et l’invraisemblance est si énorme qu’on n’est pas un instant effrayé par ce divertissement de Salpêtrière.

Toute la pièce ne vaut que par le jeu très saisissant de M. Gémier,


RENE DOUMIC.