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me ? » Anima mia, ce n’est rien, ces deux mots, notés en quatre notes et sur trois accords, qui ne sont guère davantage. Mais, grâce au don merveilleux d’étendre, d’approfondir et de transfigurer, que la musique possède, c’est déjà tout ce que l’âme, l’âme religieuse, mystique même, peut éprouver d’inquiétude et de crainte, de trouble et de langueur. Cela est aussi beau, et tout de suite cela nous jette et nous plonge aussi avant dans l’ordre de la contemplation et de la vie intérieure, que le même appel : « O mon âme ! » chaque fois qu’il revient, grave et tendre, sur les lèvres d’un Bossuet.

L’âme répond : « Je voudrais le repos et la paix. Je voudrais l’amour et la joie, et je trouve la peine et l’ennui. » Le mode mineur assombrissait la demande. Le majeur éclaire, — oh ! d’une lueur seulement, — la réponse timide, incertaine, où le désir se mêle à la mélancolie. Chacune de ces deux petites phrases ne compte pas plus de cinq ou six mesures. Elles suffisent pour donner à l’antithèse une grande beauté. Nous sommes loin ici du dialogue de Heine. Le corps lui-même ne raille pas. Tout dans son discours est grave, pathétique et, par momens, douloureux. On dirait que sa condition lui pèse, qu’il en souffre, qu’il en a presque honte. Compagnon de l’âme, et son tentateur, il ne la tente, en quelque sorte, qu’à regret, et comme cédant à je ne sais quelle pensive et presque douloureuse contrainte. Rien de bas, ou seulement de sensuel, en ses invites. Propose-t-il à l’âme les honneurs et les jouissances du monde, l’accent même de sa voix en confesse la misère et le néant. Tout en cherchant à la séduire, il honore sa compagne et lui rend hommage. C’est en elle maintenant, dans sa propre nature, dans la considération, l’orgueil et l’amour de soi, qu’il l’invite à se complaire. « Ame, » murmure-t-il très bas, « âme, plus que toute autre chose aimable et belle, apaise-toi donc en toi. » Mais elle répond : « Je ne me suis pas faite moi-même. Comment pourrais-je en moi reposer mes désirs ? » Nous ne prétendons pas que la musique de cette réponse en contredise les paroles. A leur mélancolie, elle mêle seulement une légèreté souriante, pour ne pas dire étourdie, un peu frivole, avec une vague expression de faiblesse, de fragilité féminine, et tout cela fait, un moment au moins, de cette âme, une sœur, chrétienne sans doute et pieuse, une sœur pourtant de l’animula blandula, vagula, du sceptique empereur.

Ce moment est court. Si primitive que soit encore ici la musique, elle est déjà singulièrement souple et docile. Elle suit la moindre ‘impulsion, elle obéit au moindre signe. Une phrase commence dans un certain esprit, dans un certain sentiment ; elle s’achève dans