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pour aboutir enfin au rappel de deux faits qui par eux seuls auraient déjà de quoi, me semble-t-il, nous prouver la fidélité de Marie d’Aquino à l’égard de Boccace. C’est d’abord la manière dont ce dernier, à la fin de l’épisode autobiographique de son Filocolo, prédit à la traîtresse Alleiram que son amant va bientôt retrouver « son allégresse perdue, » en se voyant honoré des faveurs « d’un objet bien plus doux » que l’avait été ladite Alleiram. N’est-ce point nous donner à entendre que l’auteur du récit a rencontré désormais cet « objet plus doux, » et que la constante affection de sa Fiammetta lui a fait oublier l’abandon déloyal de l’ancienne maîtresse ? Mais plus probante encore nous apparaît la seconde des deux dernières preuves énoncées, à l’appui de sa thèse, par l’éminent critique italien. Elle consiste à nous rappeler que Boccace, dès le lendemain de la mort de Marie d’Aquino, « n’a pas hésité à célébrer sa défunte amie comme une créature céleste, un ange, une déesse, venue sur terre afin d’émerveiller le reste des hommes, et dorénavant accueillie au nombre des bienheureux. » Ainsi que l’écrit justement M. Torraca, le désir d’imiter Dante et Pétrarque n’aurait point suffi à nous valoir une telle « apothéose » de Fiammetta, si celle-ci avait été naguère le modèle de son Alleiram, la maîtresse infidèle et l’odieuse coquette. Non, décidément, il n’est point prouvé que Fiammetta ait trahi Boccace ; et, sûrement, la conclusion de son aventure amoureuse avec le jeune marchand florentin a dû être, plutôt, celle que Boccace lui-même nous a rapportée dans l’émouvante nouvelle appelée de son nom : avec cette seule différence que, peut-être, la belle princesse abandonnée ne s’est pas montrée aussi surprise, ni aussi irritée, que nous l’affirme l’auteur du récit, — sachant assez déjà, comme ensuite Pétrarque, l’ « innocence » foncière du volage et charmant « Jeannot de Paris ! »


T. DE WYZEWA.