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une Pietà, un groupe polychrome ; la plus touchante, une sainte Claire paysanne, figure large, pleine de force paisible.) Que d’âmes furent pressées pour produire ce point de spiritualité ! J’imagine que je touche le cœur de ces froides campagnes. Ces nobles débris, dans un musée de Paris, retiendraient peu le regard : ici leur valeur est inestimable. À la fois mystiques et classiques, ils valent par tout ce qu’ils enchaînent. Ils sont nés d’un mariage de ce canton avec la catholicité et accordent d’humbles forces locales avec un sentiment religieux universel.

Ces images effritées, pareilles à des mots dits tout bas qui réveillent et persuadent, je les écoutai longuement. Je me demandais quels aspects de l’âme ou de la nature ont été fixés dans ces formes vénérables ; je cherchais à ranimer en moi les sentimens que nos pères exprimaient par cette diversité de personnages glorieux. Hélas ! je ne prévoyais pas qu’il était dans ma destinée d’assister, impuissant, au milieu des législateurs de la France, à la déposition des saints et des saintes auxquels ma race avait promis l’éternité…

Le curé vint me rejoindre. Il me raconta qu’il avait reçu, depuis un an, deux visites, celle d’un fonctionnaire des beaux-arts qui avait décidé de classer l’ensemble des sculptures, et celle d’un marchand de Dijon qui en avait offert 50 000 francs. Il me dit ensuite qu’un Bassompierre (s’agit-il du fameux maréchal de France, si grand buveur et si bon conteur ?) au temps jadis, avait construit à Gugney un pavillon de chasse et fait venir une équipe, un atelier ambulant de sculpteurs qui profitèrent de l’occasion pour exécuter, çà et là, des travaux dont les vestiges embellissent encore Charmes et Brantigny.

Ainsi parla M. le curé. C’était me dire, en deux anecdotes, comment les œuvres d’art provinciales sont nées et comment elles meurent.

Ce qui subsiste du vide-bouteilles de M. de Bassompierre est devenu le presbytère. M. le curé voulut bien m’y recevoir. Il me fit reconnaître dans les trois petites pièces qu’il habite l’ancienne grande salle avec sa vaste cheminée encore intacte et son plafond aux poutres apparentes. Puis il me choisit sur un pied de vigne qui orne sa cour une grappe d’excellent raisin.

M. le curé n’est pas à même d’entretenir une église ; le budget