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sur Philippe Tricouillard et celles de M. Bergeret sur Hercule mélampyge ne sont pas d’un goût fort relevé. Les choses de l’amour ne tiennent pas, sauf chez quelques maniaques, dans la vie des hommes, la place démesurée que leur attribue le gaulois chroniqueur de l’Histoire contemporaine, et le laisser croire, c’est, en fait, qu’on le veuille ou non, spéculer sur les plus fâcheuses dispositions d’un certain public. Tourguénef, complimentant un jour Maupassant sur ses Contes, lui disait : « Mais quel plaisir éprouvez-vous donc à émouvoir les vieux marcheurs ? » — il employait des expressions plus vives. — Et Maupassant de protester, et d’invoquer, suivant l’usage, les droits imprescriptibles de l’art. — « Mais non, mais non, répliquait Tourguénef, ce n’est pas là de l’art, et vous le savez bien ! »

M. France a jadis trop vivement critiqué Zola pour ne pas le savoir lui aussi. Mais aujourd’hui qu’il voit en Zola « un moment de la conscience humaine[1], » il ne se contente pas d’être un trop joyeux conteur, il introduit la politique, l’odieuse politique dans le roman. A l’exemple de Voltaire qui, pour le plus grand dommage de l’art, utilisait la forme tragique comme un instrument de propagande philosophique, l’auteur de l’Histoire contemporaine glisse dans ses romans, sans même se donner la peine de leur faire subir une transposition préalable, toutes ses opinions sur les affaires du moment. M. Bergeret ne parle pas autrement que ne parlerait M. France justifiant la politique de M. Combes ou présidant une réunion de la Ligue des Droits de l’homme. Et, quelque chaleur qu’il y mette, ces fragmens de pamphlet, n’étant ici point à leur place, paraissent dénués de tout intérêt. Je cherchais un romancier, et je trouve un politicien. Nombre de pages de l’Anneau d’améthyste et surtout de M. Bergeret à Paris sont devenues aujourd’hui parfaitement ennuyeuses ; dans un demi-siècle, et peut-être avant, elles seront illisibles. La vieille distinction des genres, décidément, avait du bon.

Et enfin, goûtera-t-on beaucoup, dans un demi-siècle d’ici,

  1. Discours prononcé aux funérailles d’Emile Zola (Vers les temps meilleurs, t. II, p. 13). Ailleurs, t. II, p. 66), dans un toast porté au banquet offert à Georg Brandès, le 14 mars 1902, M. France disait, sans ironie, je veux le croire, au critique danois : « Votre œuvre à la fois critique, philosophique, est, avec celle de Sainte-Beuve, la plus considérable de notre temps. » Je ne pense pas que M. Brandès ait jamais reçu, dans son propre pays, pareil compliment