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ont soutenu son héroïsme ? « En fait, comme on le pense bien, confessés ou non, près d’elle ou loin d’elle, ces soudards commettaient tous les péchés compatibles avec la simplicité d’esprit, mais l’innocente n’en voyait rien ; ouverts aux choses invisibles, ses yeux étaient fermés aux choses sensibles. » Aimez-vous beaucoup ce ton disgracieux de supériorité protectrice ? « La Pucelle avait raison plus qu’elle ne croyait. Tout dans son armée allait à la grâce de Dieu. » « Le duc d’Alençon admira cette prophétie. Sans doute la Pucelle était venue pour le sauver, et elle n’était pas venue pour sauver le sire Du Ludde. Les anges du Seigneur viennent pour le salut des uns et la perte des autres. » « Depuis plus de trois mois, ses voix la tympanisaient avec l’assaut de Paris... Elle agissait sur le conseil de ses voix et ses déterminations dépendaient du moindre bruit qui se faisait dans ses oreilles. » « Si les docteurs avaient vu, comme elle, à toute heure du jour, le ciel leur dégringoler sur la tête[1]... » Et je passe sur bien d’autres inconvenances. Comprenez-vous maintenant pourquoi M. France, dans sa Préface, est si indulgent pour « les petits vers de la Pucelle » de Voltaire[2] ? Et est-ce là vraiment ce qu’il appelait « ne pas paraître dans les affaires qu’on raconte, » et, au temps des Noces corinthiennes, « porter aux choses saintes un respect sincère ? »

Si ce n’étaient là que des fautes de tact et de goût, on les passerait volontiers à maître Jérôme Coignard. Mais elles sont le signe et la preuve d’un état d’esprit qui se traduit par des torts historiques infiniment plus graves. M. France appartient à l’époque, déjà bien lointaine, où l’on niait, sans même le discuter, le surnaturel, et où l’on expliquait toutes choses en histoire par « les grandes pressions environnantes. » Comme il a négligé, sur tous ces points, de réviser les idées de sa jeunesse, il a cru faire merveille en appliquant à l’histoire de Jeanne d’Arc les théories qui Levaient cours il y a un demi-siècle, et c’est, si je puis dire, à travers ce parti pris philosophique qu’il a lu les textes et regardé les faits. Dès 1890, il écrivait déjà, à propos de la Jeanne d’Arc de Jules Barbier :

  1. Vie de Jeanne d’Arc, t. I, p. 309, 409, 413 ; t. II, p. 73-74, 280.
  2. Id. t. I, p-LXII. — Est-ce que je me trompe ? Il me semble qu’un certain nombre de ces traits fâcheux, surtout dans le premier volume, ont été ajoutés après coup, comme si le préfacier de M. Combes, revoyant une première rédaction déjà ancienne, avait voulu y mettre sa marque nouvelle.