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tour, s’évadait dans une douce torpeur. La voix de Merton l’éveilla : « Nous pouvons partir, mon commandant. Les douars sont installés ! — C’est dommage ! J’aurais passé volontiers quelques heures sous ces arbres : voilà plusieurs mois que je n’en ai vu autant... Allons ! puisqu’il le faut ! » Étouffant avec peine des bâillemens réitérés, il donna le signal du départ.

Le retour fut pénible et lent. Imbert avait voulu compléter sa manifestation en promenant la troupe dans la vallée du Grou, d’où elle rentrerait à Sidi-Kaddour par des sentiers de pillards, perdus au fond des ravins énormes et boisés qui entaillaient le plateau. « C’est impossible ! » avaient déclaré caïds, cheikhs et partisans qui arrivaient de toutes parts pour narguer la déconfiture des dissidens. « C’est impossible ! le terrain est glissant, les pentes sont rapides et obstruées par des arbres morts ! » Mais Imbert, après un bref entretien avec l’officier d’artillerie, avait persisté dans son dessein : « A peine si nos piétons peuvent s’y aventurer ! Tu n’en sortiras pas ! Et si les Zaïan viennent t’attaquer ?... » objectaient avec ensemble les indigènes qui, visiblement, ne désiraient pas dévoiler le mystère de leurs chemins : « Bah ! soyez sans crainte ! ripostait l’artilleur : les mulets des Roumis avec un canon sur le dos sont plus lestes que vos piétons. » Les autres ricanaient, incrédules ; mais leurs illusions furent de courte durée. Ils virent avec un étonnement craintif la colonne accrochée aux flancs des rochers serpenter dans les gorges, parcourir d’une marche sûre les sentiers les plus scabreux. Ruisselans de sueurs, épuisés de fatigue, à demi étouffés par la chaleur lourde que le soleil concentrait sous les voûtes de la forêt, dans les massifs de lauriers-roses, entre les parois à pic des ravins, bêtes et gens se retrouvèrent enfin au grand air, non loin de Sidi-Kaddour, sur le plateau dénudé que balayait le vent. Tandis que les mulets s’ébrouaient et que les hommes s’affalaient sur l’herbe maigre, Imbert d’un air narquois questionnait ses guides abasourdis : « Eh bien ! brave Saïd, excellent Djilali, respectable Bou-Haza, pourquoi ne vouliez-vous pas me montrer les sentiers que nous avons suivis ? » Bou-Haza, qui était le beau parleur de la bande, répondit avec emphase : « Les mulets des Roumis sont agiles et forts, et tes soldats ont des ailes aux pieds ! — Oui, Bou-Haza ! c’est pour mieux atteindre tes ennemis et les miens ! »

Jusqu’à l’extinction des feux, sous les tentes des mastroquets,