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les alarma. Par groupes d’une dizaine d’hommes, des guerriers s’infiltraient dans les ravins, s’enfonçaient sous les bois. Des fantassins, des cavaliers descendaient l’autre versant, convergeaient vers les gués, se concertaient, franchissaient à leur tour la rivière, et ces groupes prudens dessinaient une vaste manœuvre, comme pour tendre un immense filet sur tous les sen- tiers qui accédaient au pays Zaër. Merton examina longuement ce flot envahisseur et conclut : « Les Bou-Khayou et les Aït-Raho marchent avec les dissidens, » Puis, soudain illuminé, il s’écria : « Mais c’est jour de marché à Sidi-Kaddour ! mon commandant ! ils veulent « casser le marché ! »

Imbert songea aussitôt au millier d’indigènes que les transactions hebdomadaires et la curiosité attiraient ce jour-là aux environs du poste, sur le terrain dont le choix n’avait été accepté par les tribus soumises qu’après de longs pourparlers. La création de ce marché était le plus important résultat politique obtenu par la colonne des Zaër. La dispersion des marchands et des badauds, le pillage des étalages, la razzia des bêtes de selle ou de charge si faciles à exécuter dans une foule impressionnable à l’excès seraient pour les chefs de la rébellion une éclatante revanche. Pour le poste naissant, leur succès serait une catastrophe. Imbert comprit qu’il fallait arrêter à tout prix les agresseurs : « Merton ! cria-t-il, aucun de ces gens-là ne doit parvenir sur le plateau ! Il faut les tenir à distance jusqu’à l’arrivée d’un détachement que j’envoie chercher à Sidi-Kaddour ! »

A ce moment, les quatre goumiers à cheval qu’ils avaient dépassés les rejoignaient. Un ordre bref les dispersa sur la lisière où paradaient déjà les partisans verbeux, mais prudens. Quelques détonations sèches éclatèrent et une balle bien dirigée abattit à mille mètres un fringant cavalier : « Bravo ! » cria Pointis médusé par le résultat de cette intervention inattendue.

Un concert d’imprécations s’élevait des ravins. Les goumiers maintenant précipitaient leur tir sur les groupes ennemis qui, rendus méfians par l’apparition de leurs manteaux bleus, se défilaient en toute hâte derrière les arbres et les rochers. Les partisans, excités par cette timidité dont ils devinèrent aussitôt la cause, faisaient tournoyer leurs fusils et hurlaient à tue-tête : « Attendez un peu ! les canons arrivent ! Nous allons vous massacrer tous ! »