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coûtera cher. Ensuite, nous saurons bien les empêcher d’entrer chez nous. »

Pointis, qui écoutait avec attention cet entretien, hésita un instant, puis, brusquement, se décida : « D’après vous, dit-il, la poudre va parler ? » Merton répondit selon l’usage arabe, en levant l’index vers le ciel : « Bon ! je comprends ! reprit Pointis. Je voulais partir avec le prochain convoi, mais... je reste. — Comme il vous plaira, mon cher ami, dit Imbert. Mais vous connaissez la formule : dès maintenant, je décline toute responsabilité. — Déclinez ! déclinez ! Le mystère qui plane sur votre poste vaut bien que je reste encore quelques jours avec vous. Je me trouverais ridicule si j’apprenais à Camp-Marchand ou Rabat que Sidi-Kaddour est assiégé par les Zaïan. — Oh ! assiégé ! protesta Imbert. Je ne me vois pas dans ce rôle qui serait, ici, vraiment peu glorieux ! »

Dans la nuit, un détachement quittait Sidi-Kaddour en grand secret. Par les sentiers à peine tracés du plateau, par les ravins et les crêtes rocheuses, Imbert le guidait vers l’embuscade qu’il avait méditée. Les soldats, accoutumés à ces départs nocturnes, marchaient allègrement, malgré les difficultés du terrain, car l’incident de la veille leur faisait espérer un retour triomphal. Au point du jour, canons, mitrailleuses et fantassins étaient dissimulés sur un éperon couvert d’une forêt épaisse dont les éclaircies laissaient apercevoir toutes proches les prairies de l’Oldjet-bou-Kremis bordées par le ruban de moire grise de l’Oued Grou. Pendant plusieurs heures on attendit en vain. Mais vers midi les vedettes capturaient deux piétons qui descendaient du pays Zaïan et qui, prestement garrottés, étaient amenés devant Imbert. C’étaient de pauvres pèlerins, minables et fatigués, qui se rendaient en Chaouïa. D’énormes chapelets ballottaient sur leurs épaules, et leurs visages hâves suaient la peur. Interrogés, ils dirent tout ce qu’ils savaient : le Zaïni était campé près d’Hartef, à 8 kilomètres du Grou, avec un millier de cavaliers ; l’équipée de ses fils, qui avaient ramené avec les cent moutons volés quatre guerriers morts et sept blessés, le mettait en fureur, mais il ne paraissait pas disposé à bouger : « Bon ! conclut Imbert, l’affaire est manquée. Il est inutile de rester ici plus longtemps ! »

Quelques instans après, toute la troupe s’ébranlait sur le chemin du retour dans une vallée qui ouvrait une large voie