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risque une bronchite en n’enlevant pas cette robe où j’ai eu chaud comme trois déménageurs ! » A l’idée que la danseuse ôtera sa robe, l’envahisseur reprend « sa figure sombre et triste ; » et nous supposerons qu’il a les « yeux ardens » de M. de Climal.

Violentes l’une et l’autre, les deux scènes sont analogues. Seulement, les mots qu’on apprend dans les coulisses, Marianne ne les connaît pas ; les mots qu’on apprend dans la rue, elle ne les dit pas et n’a point envie de les dire. La lingère chez qui, au lieu d’être sur les planches, elle travaille en dit quelques-uns : « Ah ! ah ! — elle est furieuse contre M. de Climal ; — vous retirer de chez moi pour vous mettre en chambre avec quelque canaille ? Ah ! pardi, celle-là est bonne ! Voyez-vous ce vieux fou, ce vieux pénard avec sa mine d’apôtre !... » Ainsi parle la lingère, non Marianne. Renée Néré est plus hardie que la lingère. Il n’y a guère de mots qu’elle refuse. Ceux qu’elle néglige, ses camarades du café-concert sont là pour les dire, et aussi les élégantes personnes qu’elle rencontre à Paris ou bien sur la Côte d’Azur. Terrible vocabulaire ! Quand Renée elle-même redoute une de ses « crises de grossièreté, » l’on frémit. Elle demande : « Quel ancêtre mal embouché aboie en moi avec cette virulence, non seulement verbale, mais sentimentale ?... » Un ancêtre qui, d’ailleurs, n’est point suranné : il a pris le ton du jour, et le plus mauvais ton du jour, avec un soin d’artiste curieux, un peu maniaque. Eh bien ! j’aime mieux les gros mots que les néologismes ; pourtant, je ne les aime pas. Et j’accorde que, la plupart du temps, Mme Colette Willy réussit, en argot, des phrases très pittoresques et assez amusantes. Mais, parfois, elle abuse de la permission. C’est, à mon gré, beaucoup trop de grossièreté. Une sorte de gaminerie la rend moins désobligeante ; puis l’adresse de l’écrivain l’orne d’une grâce comique : c’est tout de même plus de grossièreté qu’il n’en fallait. Virulence verbale et sentimentale : oui ! Les situations, dans La Vie de Marianne, sont (ne l’a-t-on pas vu ?) scabreuses. Le dialogue de Marianne et du vieux libertin n’est pas un épisode pour la Bibliothèque rose. Marianne en signalait l’indécence. Mais l’auteur, qui s’adresse à la bonne compagnie, veille à ne la point offenser : les rudesses de la parole et du geste, il les a finement adoucies. Je crois que, de nos jours, la bonne compagnie est un peu éparpillée : ce n’est pas toujours la faute des écrivains, s’ils ne savent où la trouver. En outre, elle supporte volontiers ce qui l’aurait choquée jadis ; elle a pris un langage très vif et de quelque effronterie. Au surplus, Marivaux, qui pare de mots honnêtes les pensées les moins chastes, n’évite pas toute hypocrisie.