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chercher d’explication. On m’avait donné, quand j’étais enfant, une rainette qui était bleue, au lieu d’être verte, et lorsque je demandais : — Pourquoi est-elle bleue ? — On ne sait pas, me répondait-on. C’est un prodige... » Elle dit : « L’amour, qui seul nous rassemble... » et elle veut dire que cet amour est peu de chose. L’amant désenchanté affirme, et brutal, que ce n’est que du désir... « Sans force pour mentir, je me mis dans ses bras, et je fermai les yeux pour qu’il ne vît pas que c’était mon âme que je lui donnais. »

Est-il une pensée plus triste et des mots plus joliment tristes pour la rendre ? Au problème que j’indiquais. Mme Colette Willy ne formule pas la réponse ; mais la réponse est dans la tristesse infinie de ses deux romans et dans la tristesse qui, de page en page, grandit comme une ombre jusqu’au désespoir de la fin, jusqu’à un désespoir tel qu’il n’y a plus de mots pour lui : après les dernières lignes, le silence continue les paroles du désespoir.


Il n’est pas de littérature sans poésie. La tristesse, qui donne à ces deux romans leur signification, leur donne aussi leur poésie. Il le fallait, pour ennoblir le réalisme très gaillard de maints passages, les propos de maints personnages qui pratiquent l’argot des coulisses et de la rue, la vulgarité voulue ou consentie de ces peintures. L’auteur ne se proposait pas avant tout de décrire un monde particulier. L’école réaliste avait de ces ambitions quasi scientifiques : les romanciers se partageaient une époque, à la manière des savans qui ont une spécialité chacun dans l’univers des phénomènes. L’auteur de la Vagabonde et l’Entrave n’a pas cru que le monde du café-concert, acrobates, clowns, mimes, étoiles et leur clientèle eût « objectivement » un grand charme et un vif intérêt. Tout cela est le décor où s’attriste Renée. Peut-être la tristesse de Renée avait-elle besoin de ce morne entourage ; en tout cas, la tristesse de Renée consacre la laideur qui l’environne. Elle tempère de ses nuances délicates les couleurs crues d’un vilain paysage. Elle met une âme dans une cohue d’appétits. Quand on est un peu las déjà d’avoir suivi cette horde surexcitée, l’on arrive à des reposoirs que la tristesse de Renée a préparés de place en place : autant de phrases qui sont les étapes de la pensée et du chagrin. Un dimanche matin. Renée, qui ce jour-là dansera deux fois l’Emprise, après-midi et soir, se promène au Bois de Boulogne ; la course qui, au départ, l’amuse, la fatigue bientôt : « En vérité, qu’y a-t-il de changé en moi depuis ma vingtième année ?... La fatigue, aujourd’hui, commence à me devenir amère et comparable à une tristesse