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et l’irritation de leurs sujets. Isabelle la Catholique fonde une chapelle de quarante chanteurs. Philippe le Beau, Charles-Quint après lui, s’entourent d’artistes flamands. Par eux, un élément néerlandais vient se mêler à la musique espagnole ; mais il s’y mêle seulement et ne la domine ou ne l’altère pas. « On dirait, écrit M. Pedrell, que le contrepoint flamand avait, pour fouler les terres espagnoles, laissé là-bas, sur les rives de l’Escaut, ses formes anguleuses et ses sévérités de fond... Les compagnons de Philippe le Beau, comme ceux de Philippe II, modèrent leurs rigueurs scolastiques sous la bienfaisante action de notre soleil. »

Sur le goût, la passion d’un Charles-Quint et d’un Philippe II pour la musique, M. Collet a des pages curieuses, abondantes en anecdotes et détails pittoresques. Compositeur ou non (la chose est douteuse, et certain motet qu’on attribue à l’Empereur lui pourrait bien être repris), Charles-Quint aima la musique toute sa vie, et même après sa mort, ou du moins pendant la représentation ou le simulacre fameux qu’il fit de sa mort. Retiré au monastère de Yuste, il se partage entre la musique et la dévotion, ne les séparant jamais l’une de l’autre. Il choisit les chantres de sa chapelle, il s’institue le juge de leurs voix et de leurs talens. Il ne craint pas de mêler son chant à leurs chants. Malade, il charme ses nuits sans sommeil par de pieuses psalmodies, où son secrétaire, qu’il a réveillé, doit lui donner la réplique. Enfin il exécute lui-même sa partie dans l’office de ses propres funérailles. Un de ses historiens décrit ainsi la cérémonie du 30 août 1558 : « Il entendait la musique lugubre qui se chante d’ordinaire aux messes consacrées pour les morts. Il écoutait attentivement les hymnes, les antiennes et les autres prières que les assistans entonnaient d’un ton triste pour demander à Dieu, selon l’usage de l’Église romaine, le repos éternel de son âme et une place au séjour des Bienheureux. Lui-même se joignait avec une dévotion touchante aux chants de l’assemblée et implorait la miséricorde du Souverain Juge des hommes. »

Sévère, terrible même en sa piété, Philippe II ne montra pas moins de zèle pour la musique religieuse que pour la religion même. Les maîtres de son temps, à l’envi, lui dédiaient leurs œuvres. Gardien farouche de la tradition, nous l’avons vu sauver le graduel romain, et par conséquent le chant grégorien, d’une révision funeste. Digne héritier de son père, il souhaita de porter plus haut encore la gloire de la chapelle royale. A l’Escurial surtout, il n’épargne rien pour la beauté de la liturgie. Sa curiosité, j’allais dire son avidité musicale le conduisit même à certaine démarche étrange qu’un historien de l’Escurial