Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/721

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Turquie et la Grèce était paraphé, mais qu’il n’était pas encore signé. Il l’a été très peu de jours après, non sans avoir subi quelques légères retouches qui ont été demandées à Constantinople et sur lesquelles on a eu le bon esprit de transiger à Athènes. Tel qu’il est, le traité est un très grand succès pour le gouvernement hellénique : rarement, dans l’histoire, un peuple a obtenu en aussi peu de temps des résultats aussi considérables. Sans doute la Grèce n’a pas réalisé tout son désir, car son désir est immense, ce qui est d’ailleurs de sa part parfaitement légitime, mais on est trop bon politique à Athènes pour ne pas savoir que, tout en conservant les plus grandes espérances, il faut, dans la pratique, se borner et se limiter. Nous avons sous les yeux un livre intéressant de M. Charles Vellay, intitulé : L’irrédentisme hellénique, livre qui s’appuie sur une documentation abondante et des statistiques bien faites pour conclure, en invoquant l’histoire et l’ethnographie, aux droits de la Grèce sur de vastes territoires en Europe, en Asie, dans les îles de la mer Egée ; mais M. Charles Vellay, après avoir tracé un beau tableau, conclut, avec beaucoup de bon sens, que « ce domaine est politiquement irréalisable, » parce qu’il est trop étendu et surtout trop dispersé. On ne peut admettre, en effet, que tout territoire où il y a des Grecs soit un territoire grec. M. Vellay s’applique donc à donner des limites raisonnables, quoique encore très larges, à l’irrédentisme hellénique, et c’est en cela que son livre est instructif. De ces territoires qu’elle sentait à elle, la Grèce a récupéré une partie notable. Elle peut, pour le moment, s’arrêter là et attendre.

L’influence roumaine s’est exercée, au dernier moment, de la manière la plus utile, pour amener les deux parties à se mettre d’accord. M. Take Jonesco est allé successivement à Athènes et à Constantinople et, ici et là, à Athènes surtout, puisque c’est à Athènes qu’avait lieu la négociation, sa présence a suffi pour incliner les négociateurs vers la conciliation. Son intervention, bien que discrète, a été ferme. On a compris que le gouvernement bulgare continuait de s’intéresser au traité de Belgrade et qu’il tiendrait à honneur que les clauses en fussent respectées. M. Take Jonesco, paraît-il, n’a pas hésité à dire que, si la Turquie attaquait la Grèce, celle-ci pourrait compter sur la Roumanie. A supposer que la Porte ait eu des velléités agressives, une telle déclaration était de nature à les dissiper.

On ne peut pas s’empêcher de penser que cette influence heureuse, efficace, puissante que la Roumanie exerce aujourd’hui dans les Balkans, aurait pu appartenir à la Bulgarie, si elle avait compris et joué son rôle autrement qu’elle ne l’a fait. Sa situation politique et morale était