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d’une imagination poétique, se donne déjà pour mission d’élever les pensées de ceux qui liront ses confidences. Ses sentimens sont tendres, doux, parfois naïfs. Les strophes consacrées à l’amour respirent la délicatesse et la pureté. Les yeux d’Anatole Leroy-Beaulieu ne se reposent sur rien qui ne soit élevé ; son romantisme n’évolue jamais vers le réalisme et le naturalisme.


J’en ai déjà bien vu de douces jeunes filles
Qui m’ont charmé le cœur
Et j’aimais à les voir alertes et gentilles
Car en les regardant je me sentais meilleur.


Les vers ne valent pas cher, — il en est de meilleurs dans le recueil, — mais la nuance du sentiment est de qualité fine :


Fleur, miel, ou jeune fille, admirer au passage.
Respirer sans toucher, telle est la loi du sage.


Amour platonique, vertu, idéal ; réminiscences romantiques, imitation de Schiller et de Gœthe ; inspiration religieuse et par- fois mystique[1], tel est le ton général de ces premières expansions poétiques. Mais on y voit aussi poindre l’apôtre futur de la justice internationale et de la liberté des nations. On est au lendemain de l’insurrection de 1863 ; plusieurs pièces chantent les malheurs de la Pologne ; voici une strophe curieuse, bien caractéristique des illusions de cette époque sur l’Allemagne que l’on ne voulait voir qu’à travers ses philosophes, ses poètes et ses musiciens ; c’est à propos de la Pologne :


Honte surtout au peuple artiste et libéral
Qui vit de poésie et comprend l’idéal,
A la terre de l’harmonie,
A ce peuple savant, philosophe et rêveur,
Qui n’en cache pas moins d’égoïsme en son cœur,
Honte à la noble Germanie.


D’autres vers célèbrent l’affranchissement de l’Italie et promettent à Venise le secours de la France.


La France a, de Milan, vengé le long outrage,
La France un jour viendra de l’impur esclavage
Délivrer la Reine des mers !

  1. Voyez par exemple Un soir d’été à Paris, pièce assez curieuse qui finit par une paraphrase du Pater.