Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/844

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

atteignent la hauteur de cinq mètres, où l’on cultive le tabac bien mieux qu’en Europe, où les vétérinaires de notre armée confient aux bouviers peuls les troupeaux des colonnes, par respect pour la science pastorale de ces puniques, où les arachides, le coton et l’or sont exportés à grand bénéfice, où les budgets locaux et généraux enregistrent l’excédent avec la plus-value.

Pourtant, c’est la sévérité de Tombouctou qui marque le mieux, en sa tragédie survivante, toute la grandeur de notre empire nouveau, de sa vie double, la méditerranéenne et la soudanaise, unies là, sur les deux rives du Niger, à distance presque égale d’Alger et de Brazzaville. C’est le centre.


I — LES RIVES SANGLANTES DU NIGER

Ces mille Touareg de Niafunké, dernière escale auparavant. Leur éternel sourire sur leurs faces d’ambre, ne fut-il pas sculpté par un admirateur des poètes bucoliques grecs et latins ? Ces barbares ! Car ils le sont ; les uns par leurs faces masquées de loques sous les yeux ironiques, les autres par l’apparat de leurs vigueurs nues entre les plis des tuniques et des braies, tous par l’emmêlement de leurs tignasses, par les cabrures de leurs étalons chevelus, sanglans, par la fragilité de leurs javelots, de leurs épées trop flexibles, par l’arrangement confus de leur vêture envolée. Hommes de proie ils multiplièrent, de Carthage à Djenné, pendant des siècles, en ravageant. Les voici tels qu’ils apparurent, sans doute, dès les origines, devant les Phéniciens de Tyr, devant la reine Didon, devant les mercenaires d’Annibal, et tels qu’ils combattaient au XVe siècle, sous Ali-Ber, le Sonni du Nord, l’organisateur, pour la victoire, du peuple songaï. Leurs pères ne différaient pas qui résistèrent aux talibés et aux sofas du prophète peul, Sekou-Hamadou, dans le début du XIXe siècle, avant de lui reprendre Tombouctou. Leurs aînés furent pareils que rencontra le lieutenant de vaisseau Caron en reconnaissance, sur sa canonnière, après l’occupation de Bammako par le colonel Borgnis-Desbordes, après les victoires pénibles du commandant Combes, des colonels Frey et Galliéni, remportées sur les Sofas de Samory et de Mahmadou-Lamine. Leurs vieillards sont là que battit le commandant Joffre allant venger, au delà de Tombouctou, le massacre de la colonne Bonnier, il y a vingt ans.