Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/848

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

millions d’amis loyaux pour le renforcement de nos armées. Vingt millions de cultivateurs et de pasteurs pour l’enrichissement, et l’aise du monde.

Sans doute s’expliquaient-ils ces évidentes possibilités, à Mopti, le lieutenant de vaisseau Boiteux et les sept Français qui de là, selon les ordres du général Archinard, assuraient, avec leurs laptots, la libre navigation, vers l’Est, des longues pirogues djennéennes. Cette doctrine, ils la tenaient pour certaine, quand ils conduisirent, jusqu’à Saraféré, leurs chaloupes, afin de suivre deux émissaires de Tombouctou, qui réclamaient une protection pour les marabouts et les marchands, contre la cruauté quotidienne des Touareg accourant des alentours, pillant la ville même après la perception des impôts à eux consentis, dépouillant les femmes songaï dans les rues, égorgeant l’audacieux capable de riposter à leurs insolences ou de protester contre leurs vols sur le marché, envahissant les maisons, s’y rassasiant, et y dérobant, la lance haute, ou bien enlevant les écoliers accroupis sur une place, autour de leur maître, avec leurs planchettes d’écriture, et les offrant plus tard contre rançon aux mères en peine. De ces récits, on pouvait conclure qu’un parti attendait, dans la ville, des libérateurs. On pouvait craindre aussi que les barbares missent à sac les barques de commerce que nous devions sauvegarder et ne s’emparassent des cargaisons à l’heure du débarquement.

Aussi le lieutenant Boiteux résolut-il de mener ses canonnières jusqu’au port de Korioumé. Le lieutenant Caron avait bien, en août 1887, séjourné, dans cet endroit, avec sa vedette, son chaland et sa péniche, sans commettre l’imprudence de s’aventurer, sans avoir rien subi d’offensif. Pour renseigner le colonel Bonnier qui s’avançait avec une colonne, sur la rive droite, il était nécessaire de reprendre la tentative jadis avortée, d’écrire aux chefs des partis en rivalité dans la ville, puis d’entrer en relations avec eux par le moyen de messagers. Les canonnières suivirent donc, sur le Niger, le vol de ces oiseaux blancs et mouchetés de noir qui les guidèrent le long des berges sablonneuses. Les ibis les regardèrent de coin, en penchant la tête, un ver dans le bec. Les geais de marécage, droits sur leurs pattes noires, se cambraient en manteau havane et se rengorgeaient sous leur rabat blanc, au passage de la flottille. A Korioumé, cette multitude d’oiseaux augmenta dans les