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par la redoutable avant-garde mandingue, par les escadrons noirs du Mali. Devant les corps des victimes, il fallut bien se réunir, au milieu du marché, et faire hommage de la ville à l’empereur Khan-Khan-Moussa, fier de montrer son nouveau domaine au poète de Grenade, El-Sahéli, et au prophète de Ghadamès, El-Maner, qu’il ramenait l’un de la Mecque, l’autre de la Tripolitaine. Après avoir traversé fastueusement avec eux le Sahara alors presque peuplé et fertile, Khan-Khan-Moussa allait recevoir le sceptre de Gao, conquis en son absence par son lieutenant Sagamandia. Au son de tabalas lugubres tapés par des poings de fer malinkés, les marchands songaïs, djennéens ou arabes ne purent que consentir l’impôt exigé par les vainqueurs aux grosses lèvres et aux pommettes dures.

Bientôt on vit El-Sahéli rassembler les maçons, les briquetiers, les crépisseurs. Lentement, une pyramide s’éleva au flanc de la ville, puis des murs et des piliers lourds. Ce fut la grande mosquée, Dyinguer-Ber. En même temps, la coupole d’un palais s’arrondit dans le ciel. Elle y resplendit dans le plâtre frais. Elle étonna par la profusion de ses arabesques polychromes. À l’exemple de ce luxe impérial, les riches se hâtèrent d’édifier plusieurs groupes de maisons à terrasses, selon le style marocain d’El-Sahéli. Tombouctou s’embellit et commença de posséder, au centre, quelques rues de maisons en argile, avec des terrasses à rebord. Les Touareg s’étonnèrent de ce luxe. Accroupis derrière les lances droites, la dague au poignet, ils durent regarder les maçons bambaras ou songaïs, sur des échelles de branches et de lattes, étaler le crépi avec leurs mains, contre les alignemens de briques ovales. À voir construire ces maisons semblables à celles de la Méditerranée punique et romaine, faites comme à Pompéi de petites chambres exiguës étagées autour d’une courette interne et d’un escalier en briques, peut-être la mémoire des Berbères se rappelait-elle les souvenirs transmis d’ancêtres en aïeux, et qui leur évoquaient une mer d’azur, argentée par le sillage des galères, un môle de pierres roses et jaunes, un peuple bavard devant les demeures innombrables que frôlaient les ailes des oiseaux, le cortège d’un consul précédé par les haches des licteurs, et la hampe de la louve, ou la procession d’un évêque en or derrière une croix gemmée. Mêlant leurs tignasses, les Maures supputaient la richesse des