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salons où la stupidité et la grossièreté n’auraient point été reçues. Ils s’expliquent, d’ailleurs, par la nature du poète assurément très sensible aux variations de l’atmosphère morale. A Versailles, où il n’eût pas mieux demandé que de faire sa cour, mais où la malchance le poursuit dans ses flatteries aux Favorites, l’embarras de sa conversation, qui frappera Saint-Simon, vient uniquement de ce qu’il ne sait pas réagir contre les influences hostiles. La Bruyère, lui, force souvent l’antithèse dans ses raccourcis de portraits ; et, qu’il ait ennuyé La Fontaine « de ses complimens et de ses questions, » cela ne nous étonnerait pas plus que l’agacement qu’il donnait à Boileau. Quant à Louis Racine, il ne nous répète que ce que lui ont dit ses sœurs ; et La Fontaine devait éprouver quelque gêne sous les yeux de cette austère famille. Mais au château de Vaux[1], — au Luxembourg, chez Mme de La Fayette, près des La Rochefoucauld, des Sévigné, des Turenne, chez Mme de La Sablière, chez les d’Herwart, partout on l’a aimé, et non pas comme un original, — car on se lasse vite d’un original pauvre, — mais comme un jeune homme charmant et comme un homme d’agréable commerce et de bonne compagnie.

Les femmes (je ne parle pas de ses maîtresses qui étaient si peu les siennes), les femmes se sont attachées à ce compagnon toujours respectueux, toujours réservé dans ses propos, et, au besoin, merveilleusement attentif. Il ne parlait pas beaucoup ; mais elles aiment mieux qu’on les écoute, et il savait les écouter. Elles devinaient en lui un sens très fin de toutes leurs élégances. Il excellait dans la louange délicate et aisée. Son génie, qui feignait l’indolence, « laissait tomber des fleurs qu’il ne répandait pas. » Mais ce qu’elles appréciaient surtout dans La Fontaine, aussi bien Mme de La Sablière que la Champmeslé, c’était l’ami, qui avait autant de constance et de raffinemens en amitié qu’il en apportait peu en amour. Certains hommes mettent dans leurs amitiés toute la tendresse dont leur âme n’a rien dissipé dans les liaisons amoureuses. La Fontaine, qui, passé le couvre-feu, courait encore l’amour ou ce qu’il appelait ainsi, n’a vraiment aimé que ses amis.

Et il a voulu plaire à tout le monde. La plupart de ses distractions, qu’on a sottement multipliées, n’étaient, selon l’heureuse

  1. Voyez le très beau livre de M. Urbain Châtelain, Le surintendant Nicolas Fouquet (Librairie Perrin).