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d’ennui, si je ne composais plus. » Et dans sa dernière lettre à Maucroix, où la terreur le ressaisit, dans les derniers mots de cette lettre si simple et si pathétique, la même imagination, qui étincelait dans ses Fables, jette un suprême éclair. « O mon cher, mourir n’est rien : mais songes-tu que je vais comparaître devant Dieu ? Tu sais comme j’ai vécu. Avant que tu reçoives ce billet, les portes de l’éternité seront peut-être ouvertes pour moi. » Si les puritains ne sont pas satisfaits, les autres le sont ; cela suffit.


Son œuvre est la plus admirable illustration que nous ayons dans notre littérature de la théorie de l’Art pour l’Art. Elle ne signifie pas que l’artiste se détachera de tous les intérêts humains, ce qui serait ridicule, mais qu’artiste avant tout, il ne se laissera, déterminer, dans le choix de sa matière et dans sa façon de la traiter, que par les seules considérations artistiques. Ce qu’il dit peut avoir, bonne ou mauvaise, une portée morale et sociale ; mais il ne l’a dit que persuadé qu’il le dirait bien et qu’il produirait sur nous l’impression agréable d’une convenance parfaite entre le fond et la forme, le fond recevant très souvent de la forme une valeur imprévue. Chez La Fontaine, il est difficile de ne pas remarquer une indifférence presque complète au sujet en soi. On comprend le mot de Jules Lemaître rapporté par M. Faguet : « Très grand poète : mais pourquoi cet homme a-t-il fait des fables ? » En effet : et pourquoi a-t-il composé cinq livres de contes qu’il qualifie lui-même de sornettes ? Pourquoi a-t-il écrit le poème de La captivité de saint Malc et le poème du Quinquina ? Ouvrages commandés, dit-on, l’un par les Solitaires de Port-Royal, l’autre par la duchesse de Bouillon.

L’idée des Solitaires priant le poète de L’Oraison de saint Julien de mettre en vers français le latin du vénérable d’Andilly est si drôle que je n’ose pas y croire. Il est vrai que La Fontaine les avait déjà flattés dans sa Ballade d’Escobar et que ces Messieurs prêtaient beaucoup sur de pareils gages. Mais j’adopterais plutôt l’hypothèse de M. Roche, qu’à la veille de publier de nouveaux Contes, il faisait provision d’indulgence. Mon Dieu, délivrez-moi des Jésuites : pour les Jansénistes, je m’en charge ! N’aurait-il pu s’en charger autrement ? Sa ballade est lestement enlevée ; son poème se traîne. Mais il était convaincu qu’il l’avait