Page:Revue des Deux Mondes - 1913 - tome 18.djvu/895

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Fables et de quelques-uns de ses Contes lui fournira l’occasion d’utiliser au profit même du naturel. Dans ce petit monde comique, qui campe sur les confins de la réalité et de la fantaisie, il est naturel en effet que les dieux des bonnes gens et des bêtes participent de la bonté des uns, de la bêtise des autres, de la petitesse de tous, que Jupiter ne soit plus qu’un Jupin et Borée un souffleur à gages. Il est naturel aussi qu’à la vanité de leurs gestes le poète mesure la vanité des nôtres, puisque les mêmes mobiles nous agitent et que deux coqs qui se battent pour une poule sont aussi fous que Ménélas et Paris se battant pour Hélène. Amour, tu perdis Troie ! La Fontaine, si entêté du genre héroïque qu’il y revenait encore vers la fin de sa vie, en a passé une bonne partie à se moquer agréablement de lui-même. Ce fut son donquichottisme ; et c’est un peu l’histoire de Cervantes dont le génie le ravissait. On joue sur les mots quand on parle de poésie épique chez La Fontaine. Il aurait bien voulu en faire ; et l’énumération des chiens et des chasseurs dans son Adonis est sérieusement imitée des dénombremens homériques. De cet effort trop ambitieux, il a gardé une habileté surprenante à frapper le grand vers.


Le robuste Crantor aux bras drus et nerveux...
Ne pouvant que mourir, il meurt sans s’étonner...
C’est Phlégon qui souvent aux loups donne la chasse
Armé d’un fort collier qu’on a semé de clous.


Quand il s’amusera à traduire, pour la traduction de son ami Pintrel, les vers cités par Sénèque dans ses Épîtres, il accomplira de véritables prouesses :


Les chevaux sont couverts de housses d’écarlate
Où l’or semé de fleurs et de perles éclate ;
Ils ont des colliers d’or sous la gorge pendans
Et des mors d’or massif qui sonnent sous leurs dents.


Seuls Ronsard et Hugo ont su rendre ainsi Virgile. Les vers semblables qui relèvent le ton de ses humbles récits,


Comme il sonna la charge il sonne la victoire.


ne sont que des souvenirs de poèmes héroïques, des parodies dont la légèreté et l’art qui les amène effacent ce qu’elles pourraient avoir de burlesque ou simplement de trop appuyé.