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toutes les célébrités d’alors viennent complimenter la tragédienne. Il y a là Chateaubriand, Mme Récamier, Victor Hugo, et Vigny, et Musset. Nous aimons beaucoup ces évocations d’une société disparue. C’est de même que, dans la dernière revue représentée au théâtre Léon Poirier, le clou avait été la scène où se rencontraient, dans un salon du Paris d’il y a cinquante ans, le jeune Fallières avec le jeune Loubet, cependant qu’une nourrice tenait dans ses bras le petit Poincaré. Mais Rachel s’évanouit. Car elle reçoit, en plein cœur, la nouvelle que le petit officier est mort. Au dernier acte, un balayeur plus que centenaire, qui est le plus vieil habitué du Théâtre-Français, vient nous conter ses souvenirs. Et Rachel, agonisante, revoit, dans les ténèbres et dans le froid, le théâtre où elle a connu de si enivrans triomphes... Dans ces pièces biographiques qui sont la vie d’un personnage célèbre découpée en tableaux, on a l’impression que l’auteur a choisi ceux-ci et aurait pu en prendre d’autres, sans qu’il y eût avantage ni inconvénient. Nos pères, qui ne connaissaient pas le cinématographe, comparaient cette sorte de spectacles à ceux de la lanterne magique.

Une débutante, Mlle Séphora Mossé, était chargée du rôle terrible de Rachel. Elle y a montré beaucoup de qualités, de l’élan, de la chaleur, de la passion et beaucoup d’inexpérience. Son débit est trop précipité Il lui faudra apprendre à gouverner sa voix et à discipliner son jeu. Après quoi, elle pourra faire une belle carrière. M. Denis d’Inès a remporté un grand succès dans le récit du balayeur au dernier acte.


Le Gymnase vient de reprendre le Samson de M. Bernstein. A six années de distance, la pièce ne pouvait guère nous produire une impression nouvelle. Le milieu littéraire ne change pas en si peu de temps. En outre, les drames de M. Bernstein ne sont pas de ces œuvres complexes et nuancées dont, peu à peu, certains aspects émergent, et d’autres rentrent dans l’ombre. Les caractères en sont au contraire accusés avec une netteté impitoyable, et éclatent dans une lumière d’une crudité aveuglante.

Samson est d’abord une pièce remarquablement construite par un ouvrier de théâtre qui est maître en sa partie et qui probablement, dans la nouvelle génération d’auteurs dramatiques, est celui qui possède le mieux son métier. Dès les premières scènes, les personnages sont campés solidement devant nous et le sujet posé avec franchise. Nous savons que le marquis et la marquise d’Andeline, nobles ruinés, ont marié, — ont vendu, — leur fille Anne-Marie à un brasseur d’affaires, Jacques Brachard, jadis portefaix à Marseille, puis trafiquant en