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mensonges ? » demande à son fils le vieux maître de chapelle salzbourgeois. Puis, reprenant le passage où Wolfgang lui avait parlé de sa crainte d’avoir à « enfouir sous terre » son talent de compositeur, il lui démontre que Paris est le seul milieu musical qui lui permettra, au contraire, de développer et de révéler pleinement au monde les dons exceptionnels qu’il a reçus de la Providence. Hélas ! ces dons se trouvent en partie stérilisés chez lui par deux défauts regrettables, qui souvent déjà l’ont empêché de réussir dans la vie comme il l’aurait dû :


Et que penses-tu qu’ils sont, ces deux défauts de ton caractère ? Interroge-toi, mon cher Wolfgang, apprends à te connaître ! Tu découvriras alors, en premier lieu, que tu as un petit peu trop d’orgueil, et en second lieu que tu es trop vite porté à te lier avec le premier venu, de telle sorte qu’il n’y a personne à qui tu ne dévoiles ton cœur tout entier. Il est vrai que l’une de ces choses devrait, semble-t-il, exclure l’autre : car celui qui a une très haute opinion de soi-même ne s’abaisse pas aisément à des liaisons familières. Mais c’est que ton orgueil, à toi, ne se sent offensé que lorsque l’on ne t’accorde pas sur-le-champ l’admiration où tu t’imagines avoir droit. Il suffit qu’un flatteur intéressé t’exalte jusqu’au ciel pour que, d’emblée, tu lui ouvres ton cœur, et te fies en lui comme dans l’Évangile. Les gens qui veulent te tromper n’ont même pas besoin de se mettre en frais d’hypocrisie, car il n’y a rien de plus facile que la louange ; seules, leurs intentions te demeurent cachées. Sans compter que, pour t’empaumer plus sûrement, c’est assez que les femmes se mêlent de la partie ; et alors, si tu ne te hâtes pas d’opposer la résistance qui convient, te voilà voué au malheur pour toute ta vie ! Rappelle-toi tout ce qui t’est déjà arrivé, sous ce rapport, pendant la courte durée de ton existence ! Considère tout cela avec un peu de sang-froid, et tu verras que je ne te parle pas seulement comme ton père, mais aussi comme ton plus sûr et dévoué ami !


Et, en effet, cette seconde lettre de Léopold Mozart a eu du moins pour résultat de contraindre Wolfgang à s’en aller sur-le-champ de Mannheim. Dès le 24 mars suivant, le jeune homme était installé à Paris, dans cet hôtel de la rue du Gros-Chenet, — « vis-à-vis celle du Croissant, » — où il allait avoir bientôt la désolation de voir mourir son excellente mère. Je n’ai pas à raconter ici cette très importante période de sa vie, dont la connaissance nous sera d’ailleurs bien utilement complétée par la publication des quelques lettres de Mme Mozart à son mari, et surtout des réponses de ce dernier aux deux voyageurs. Mais si fort avait été l’enchantement exercé sur le pauvre Wolfgang par les petits yeux futés et l’admirable voix, — malheureusement sans « action, » — d’Aloysia Weber que, durant tous ces six mois passés à Paris, ni l’angoisse que lui a causée la perte de sa mère, ni non plus