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III

Il serait difficile et factice de faire une classification rigoureuse parmi les œuvres d’Anatole Leroy-Beaulieu. Toutes, sans en excepter même les œuvres politiques dont nous venons de parler, sont inspirées ou dominées par une idée morale, jusques et y compris une brochure datée de 1875 sur la Restauration de nos monumens historiques. Elles n’appartiennent pas à un genre nettement défini. Entre la Révolution et le Libéralisme (1890), la Papauté, le Socialisme et la Démocratie (1892), Israël chez les nations (1893), Le règne de l’argent (1894-1897), le Dialogue sur le socialisme et l’individualisme, les Doctrines de haine (1902), un grand nombre d’articles et de conférences, où sont abordés les sujets les plus variés, le lien est facile à saisir ; je le chercherais, pour ma part, non point tant dans les divers aspects de l’idée de liberté, si chère qu’elle ait été à Anatole Leroy-Beaulieu, que dans le développement, et je dirais presque, la prédication de l’idée de justice. Il n’est ni un historien, comme Taine ou Sorel, bien qu’il ait écrit d’excellentes. pages historiques, ni un économiste, comme son frère M. Paul Leroy-Beaulieu, bien qu’il ait abordé certaines questions qui touchent à l’économie politique, ni un publiciste spécialement occupé des affaires religieuses, comme Montalembert ou Veuillot, bien qu’il les ait étudiées avec passion : il est tout cela en quelque mesure, mais il est surtout autre chose : il est un moraliste, c’est-à-dire qu’il s’abstrait rarement de ses préoccupations morales. Il tempère même la rigueur de ses doctrines « libérales » en économie politique, en sociologie, par des considérations d’ordre moral. M. Pierre de Quirielle a bien raison d’hésiter à le ranger parmi les « doctrinaires ; » ce grand idéaliste a eu, certes, dans tous les domaines de la pensée, ses préférences et ses répugnances très caractérisées, mais il s’est toujours placé plus haut que les controverses doctrinales, il a toujours été prêt à subordonner ses opinions à ce qu’il croyait être la justice. On a dit de lui qu’il recherchait en tout « la justesse ; » disons tout simplement la justice. Il a poussé l’amour de la justice jus- qu’au degré héroïque qui est la charité. C’est là le point central de son œuvre, ce qui en fait l’unité, ce qu’elle renferme de plus bienfaisant et de plus durable. Cet amour de la justice.