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ou, au sens négatif, l’habeas corpus, les garanties des individus contre les abus du pouvoir, la faculté de résister à tout absolutisme humain, de ne subir aucune contrainte dans sa pensée et dans sa volonté. Il a horreur du jacobinisme qui sacrifie l’individu à l’État et qui aboutit, au nom de la « liberté, » à la pire des tyrannies. Il voit dans le christianisme la plus forte barrière contre cette absorption de l’individu ; il a affranchi l’homme ancien ; il garantira la « liberté » de l’homme moderne. Jésus-Christ est mort pour chaque individu, non pour l’Etat ou la société, et sa mort donne un prix infini à chaque âme individuelle ; elle condamne tous les genres d’oppression comme incompatibles avec la dignité de chaque homme. « Il faut qu’un peuple croie ou qu’il serve, » dit Anatole Leroy-Beaulieu citant Tocqueville. Voilà, si je le comprends bien, en quel sens il est un « catholique libéral ; » peut-être serait-il plus exact de dire qu’il est un libéral catholique.

Il a épanché dans son livre Les catholiques libéraux quelques-unes des angoisses de son propre esprit, partagé entre les sentimens profondément catholiques ancrés dans son cœur par son éducation et fortifiés par ses méditations intimes, et ses tendances « libérales » en politique et en sociologie. On y sent vibrer des accens très personnels, comme dans cette page éloquente où il s’élève contre Emile de Laveleye et combat sa proposition de faire adopter aux nations modernes le protestantisme comme plus compatible avec la liberté politique et la démocratie. Il ne va pas jusqu’à admettre, avec Tocqueville, que le catholicisme soit, de toutes les formes du christianisme, la plus favorable à la démocratie, mais il rejette aussi la proposition contraire. « Ce que l’Église combat dans la démocratie moderne, dit-il, ce n’est pas la démocratie elle-même, ce n’est ni l’égalité, ni la fraternité, c’est l’esprit de la démocratie contemporaine, ses passions, ses convoitises, ses instincts antireligieux, ses appétits de domination. » Ceux qui font la guerre au catholicisme préparent le lit de la révolution et du socialisme ; mais il faut bien se garder aussi de faire, de la lutte contre la révolution, de la contre-révolution, l’accompagnement obligé de la religion ; l’Église doit être au-dessus de tous les régimes politiques, la religion au-dessus des querelles des partis, car « en religion, non moins qu’en politique, la faveur des partis va presque toujours aux opinions les plus tranchées et aux thèses