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Le plus souvent, on y espère le transafricain qui doit unir le Niger à la Méditerranée, comme le firent, si longtemps, les voyages des caravanes parcourant les pistes de puits en puits, d’oasis en oasis. Savamment, le colonel Sadorge explique les difficultés, les chances, la nécessité de l’entreprise. De Colomb-Béchar ce rail doit s’allonger vers Tosaye, en aval de Tombouctou, dans le vieil empire de Gao.

Le soir, on reprend ces propos, sur la terrasse, à l’heure où le soleil s’immerge dans les vapeurs de l’horizon ; à l’heure où les rayons dorent enfin, plus qu’ils ne les dessèchent, les pyramides hérissées de Dyinguer-Beer et de Sancoré, le pinacle de Sidi-Yahia, les rebords des toitures plates, et la crête de tous les murs qui, progressivement, s’obscurcissent. Quelques minutes, la ville reste ainsi ; mi-partie or et ombres. Vers le ciel apaisé, un peu gris, les lignes de faîte resplendissent ; tandis que la vie du peuple devient ténébreuse dans le dédale des rues, jusqu’aux espaces mauves du désert.

Une vapeur lilas monte des fonds. Elle noie les dunes, au loin.

Alors, la ville de terre dorée, d’ombres fauves, la ville aux façades marocaines, puniques, égyptiennes, étrusques et latines suggère tout ce que nous supposons de l’ancienne vie méditerranéenne, de ses peuples en tuniques, en toges, de ses peuples à grands plis, qui se meuvent là, sous les cris aigus des enfant et des passereaux.

Bientôt, les ors qui persistaient aux faîtes se ternissent. Ils se cuivrent. Ils deviennent orangés comme la poussière qui s’élève avec la brise. La ville blonde et l’air fauve se marient intimement au cœur d’une atmosphère poudreuse. Tombouctou s’assoupit dans ses lignes sévères que la nuit subite va bleuir, dès la naissance de la première étoile. Ensuite surgira la lumière de Tanit ronde et divine, déjà révérée par les dames en route vers un ballet nuptial, avec leurs parfums, avec les diadèmes de perles sur le front, sur les tresses mêlées d’anneaux en ivoire ou de boules d’ambre, avec la souple beauté du corps enclose dans un manteau ailé ; comme il sied aux Salammbôs de notre Carthage riche et puissante, désormais, sous nos couleurs.


PAUL ADAM.