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périls de cette situation et comme, d’autre part, elle était résolue à ne recourir jamais aux émigrés, desquels elle redoutait « un esclavage pire que le premier, » elle n’en était que plus disposée à suivre les conseils que lui donnaient Barnave et ses amis. Mais, du premier coup, ils lui avaient demandé l’impossible et, en dépit de son bon vouloir, elle était obligée de le leur faire sentir. Néanmoins, nous l’avons dit, elle ne se refusa pas à la tentative qu’ils lui conseillaient. Elle écrivit à son frère et n’en reçut qu’une réponse vague et entortillée qui ne pouvait lui donner satisfaction. Dès ce moment, l’Empereur entrevoyait la possibilité de tirer parti des malheurs de la France pour s’annexer l’Alsace et la Franche-Comté ; il ne voulait prendre aucun engagement, ni faire aucune démarche qui l’eût lié pour l’avenir. Jusqu’à l’avènement de Bonaparte, la politique impériale s’inspirera de ce désir inavoué, mais certain. Cette réponse ne fut pas une déception pour la Reine ; elle l’avait prévue, sans d’ailleurs en soupçonner les motifs réels.

Elle avait écrit aussi au Comte de Provence tandis que le Roi écrivait de son côté une lettre que Goguelat, son homme de confiance, fut chargé de porter à Coblentz. La réponse du prince à sa belle-sœur ne fit que témoigner de son entêtement. Aux instances dont il était l’objet, il répliquait qu’elles ne pouvaient être sincères, ceux qui les lui adressaient n’étant pas libres. La réponse à Goguelat fut pire ou, plutôt, il n’y en eut pas. L’envoyé de Louis XVI, brusquement éconduit, dut se retirer sans avoir pu obtenir du Comte de Provence et du Comte d’Artois qu’ils répondissent à leur frère. La Reine se vit contrainte de renoncer à toute démarche directe ultérieure. Elle écrivait à Barnave : « Je répète que notre intérêt personnel est tellement attaché au retour de Monsieur que je pourrais paraître suspecte en toute démarche que je ferais à ce sujet. Il faut qu’on trouve un moyen d’agir sur les esprits sans que nous paraissions en rien. Au reste, le parti qu’on a pris à Coblentz de regarder comme forcée et preuve de notre manque de liberté toute démarche que nous faisons nous interdit toute démarche particulière. »

L’espace nous fait défaut pour tirer de plus longs extraits de cette volumineuse correspondance. Mais nous en avons assez dit pour démontrer comment et pourquoi le rapprochement de la Reine avec Barnave devait rester stérile et, sans discuter ici