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Mais il ne serait pas juste, étant donné ses origines, son éducation, ses préjugés, de lui imputer à grief ce défaut de prévoyance et il convient de lui faire honneur d’avoir puisé dans l’excès de son infortune, dépouillé de toute rancune et de toute velléité de vengeance et de représailles, le sentiment très net des nouveaux devoirs que lui imposaient l’intérêt de la France et celui de la royauté. Ce sentiment apparaît à toutes les pages de sa correspondance avec Barnave. Elle y révèle une résignation raisonnée et sincère aux transformations qu’il n’est plus au pouvoir de personne d’empêcher, les plus rares qualités de l’esprit et du cœur, et une rectitude de jugement que ne permettaient pas de soupçonner les légèretés qu’on lui avait antérieurement reprochées et ce qu’on a dit de la futilité de ses pensées. Elle ne se fait pas illusion sur les conséquences de son entreprise ; quoiqu’elle s’y livre avec autant de courage que d’espoir, elle est préparée à la défaite comme au succès. Si dans cette correspondance se trahissent des illusions, elles ne sont pas du côté de la Reine ; elles sont plutôt du côté de Barnave, qui croit encore possible ce qui ne l’est, hélas ! déjà plus. ! Dans le rôle que Marie-Antoinette vient d’adopter et dans le cadre d’événemens émouvans où on la voit évoluer, elle est véritablement une femme nouvelle en qui s’annonce déjà celle que, bientôt après, on verra gravir les degrés de son calvaire avec un héroïsme incomparable, qu’admirera la postérité, et qui effacera sous un voile sanglant ses fautes d’autrefois qu’on ne saurait d’ailleurs rappeler sans ajouter, si l’on veut être juste, qu’elles ne méritaient pas une si cruelle expiation.

Quoiqu’il en soit d’ailleurs, quiconque lira sans préventions la correspondance dont nous venons de parler et malgré l’avortement de la tentative qu’elle révèle, reconnaîtra que Marie-Antoinette y apparaît singulièrement grandie et j’oserai dire transformée, surtout si on la compare à ce qu’elle était avant le triste événement de Varennes ; et de même, ainsi qu’on va le voir, elle sort grandie comme femme de cette autre correspondance du comte de Fersen avec sa sœur la comtesse Piper, qui forme la dernière partie du volume de M. de Heidenstam, où elle est publiée pour la première fois.

A la fin du mois de décembre de cette même année 1791, Barnave se préparait à quitter Paris pour retourner à Grenoble, sa ville natale, avec l’espoir d’y retrouver sa popularité