Page:Revue des Deux Mondes - 1914 - tome 19.djvu/170

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

la génération humaine qui réalise tout le sien ? « Elle n’a pas de victoire à son actif, cette génération des jeunes gens de la guerre, cela est vrai, — écrivait il y a plus de vingt ans M. Bourget, dans l’émouvante préface de son Disciple. — Elle n’a pas su établir une forme définitive de gouvernement, ni résoudre les problèmes redoutables de politique étrangère et de socialisme. Pourtant, jeune homme de 1889, ne la méprise pas. Sache rendre justice à tes aînés. Par eux, la France a vécu ! »

Oui, la France a vécu, dangereusement vécu même par momens, et nous savons assez d’histoire pour rendre à ceux qui l’ont fait vivre le juste hommage auquel ils ont droit. La génération de la guerre, nous le voyons mieux encore aujourd’hui, n’a pas à rougir de son œuvre. Venue à la vie spirituelle et civique à une heure tragique, elle a fait tout ce qui était en son pouvoir pour réparer les ruines qu’elle n’avait pas causées. Elle a souffert dans son esprit et dans son cœur, dans sa fierté et dans sa tendresse. Mais les amères leçons de l’expérience n’ont pas été perdues pour elle. Elle a mieux connu l’homme tel qu’il est et la vie réelle que celles qui l’avaient précédée dans l’existence ; elle s’est fait moins d’illusions sur le monde et sur l’étranger ; elle a moins vécu d’une vie toute cérébrale ; elle nous a légué de belles œuvres, fortes, humaines et profondes ; elle a entretenu parmi nous, avec l’idée toujours présente du relèvement de la patrie, de hautes et nobles inquiétudes. En un mot, elle a créé ce quelque chose d’assez complexe et pourtant de très précis qu’on appelait, il y a vingt ans, l’esprit nouveau.

Cet « esprit nouveau, » c’est celui-là même que nous avons essayé de définir au cours des pages qui précèdent. C’est cet esprit qui a animé, soulevé, soutenu presque tous les écrivains dont nous avons parlé, et ceux aussi dont nous n’avons point parlé encore. Et nous, qui avions vingt ans vers 1890, nous à qui M. Bourget dédiait la Préface de son Disciple, et Vogué celle de ses Regards historiques et littéraires, c’est cet esprit libre, clair, généreux, bien français, que nous avons respiré en nous éveillant à la vie intellectuelle. Nous aurons été dans l’histoire la génération de l’esprit nouveau.

Hélas ! et sans qu’il y eût, ce semble, de notre faute, cet esprit a subi une longue éclipse. Notre jeunesse, à nous non plus, n’aura pas été gâtée par la vie. Si elle n’a pas, comme la génération antérieure, eu à vingt ans sous les yeux le