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auguste de l’Esprit. Servitude et grandeur militaires fait avec Stello un diptyque où le poète est plaint et glorifié de même que le soldat. Puis, dans la Flûte, poème imparfait sans doute, Vigny a placé l’une de ses convictions les plus chères : l’éminente dignité de l’art et sa sublime sainteté, l’artiste ne fût-il que peu adroit et sur un instrument médiocre. Enfin, le 10 mars 1863, quelques semaines après la mort de Mme de Vigny et à quelques mois de mourir lui aussi, le poète écrit son dernier poème, l’Esprit pur. C’est, dit très justement M. Dupuy, son testament littéraire ; et c’est une « réponse stoïcienne » à la douleur, une « revanche de l’âme sur le corps et de l’esprit sur la matière. » C’est aussi l’affirmation de la croyance qui, après la déception militaire, a gouverné sa vie.

Seule croyance, avec le culte de l’honneur ; et, quant au reste, les poèmes de sa maturité sont tous de violentes déclarations de nihilisme. Le Mont des Oliviers nie toute religion ; la Colère de Samson nie tout amour ; et la Mort du loup commande la solitude et le silence.

La Colère de Samson date de 1839 ; et c’est le seul poème que Vigny ait composé à cette époque. Depuis la publication de Servitude et grandeur militaires en 1835, et jusqu’à l’année 1843, pendant sept ans, il n’écrit pas. Il voit mourir sa mère, il supprime de sa pensée (autant qu’il le peut) la Dorval, il se retire au Maine-Giraud : solitude et silence. Il pratique mentalement les rites de son nihilisme. Il imprime la collection de ses « œuvres complètes, » comme s’il avait à jamais fini de prononcer une parole.


Gémir, pleurer, prier est également lâche.
Fais énergiquement ta longue et lourde tâche
Dans la voie où le sort a voulu t’appeler,
Puis, après, comme moi, souffre et meurs sans parler.


Les poèmes qu’il écrira encore seront, en vers impérieux, les préceptes du silence et de la solitude. Mais, un jour, en 4844, toute sa poésie est en délire et chante : délire merveilleux, où la mélancolie est émue d’allégresse, où le désespoir est enchanté de musique, où la tendresse et la jalousie se confondent, où la volupté rayonne et où passent les idées naïves ou subtiles, pénétrantes comme des éclairs dans une nuit déjà illuminée d’étoiles. Il écrit la Maison du berger, poème tel qu’il n’en a pas écrit un autre et tel que, dans notre littérature, dans les autres littératures (je crois), il n’y en a pas d’autre ; poème étrange et dont la composition vous déconcerte ; poème dont les élémens ne sont pas arrangés selon la logique habituelle, et labyrinthe sans ténèbres, mais labyrinthe éblouissant pour lequel un fil