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de dévolution des biens ecclésiastiques. Ces souvenirs, fièrement évoqués, ne lui ramèneront pas une seule voix à gauche, pas plus d’ailleurs qu’ils n’en feront perdre une seule à M. Caillaux, qui a voté, paraît-il, contre le ministère Combes et contre la séparation de l’Église et de l’État. Nous l’avions oublié, tant on oublie vite en France, ou plutôt nous n’y songions plus. Certains hommes changent aujourd’hui avec une si prodigieuse rapidité qu’on ne peut pas les suivre dans leurs métamorphoses et qu’on les prend pour ce qu’ils sont au moment présent sans se préoccuper de ce qu’ils ont été dans le passé ni de ce qu’ils seront peut-être dans l’avenir. Les radicaux font ainsi pour M. Caillaux et les modérés pour M. Briand. Il y a d’ailleurs, chez ce dernier, un accent généreux, une attitude courageuse qui font naître la sympathie.

D’où lui viennent les sentimens qu’il inspire aujourd’hui, il s’en est fort bien rendu compte et il l’a dit à Saint-Étienne : on lui sait gré d’avoir prononcé, répété plus vigoureusement, accentué avec une force toujours croissante un certain nombre de paroles où on a vu l’indication d’une politique nouvelle, qui s’est trouvée correspondre au vœu du pays. Il a été la voix qu’on attendait. Le pays était fatigué, excédé, écœuré, dégoûté de la politique de coteries locales qui s’est manifestée dans nos communes sous la forme de la plus odieuse tyrannie. Ce dont on accuse le parti radical-socialiste, c’est d’avoir mis toute l’action administrative et gouvernementale au service de cette politique, la plus basse de toutes, que M. Millerand a un jour, à la tribune, qualifiée d’« abjecte » et qui, lorsqu’on a su qu’elle avait sali l’armée elle-même, a failli déshonorer la République. Nous ne rappellerons pas à M. Briand que l’initiateur de cette politique a été M. Combes et qu’il a soutenu M. Combes : il nous suffit qu’il la réprouve maintenant. Pourquoi les réactionnaires eux-mêmes vont à lui, il l’a expliqué dans son discours. — C’est, a-t-il dit, parce qu’ils ont senti que l’opinion était avec moi et qu’ils ont voulu être avec l’opinion. — Soit : cette explication en vaut une autre. M. Briand ne peut pas empêcher ceux qui pensent comme lui de lui donner raison et si tant de gens divers lui donnent raison, depuis des radicaux-socialistes, qui se détachent de leur groupe, tout en voulant rester de leur parti, jusqu’à des réactionnaires avérés, il faut bien croire, comme il le croit lui-même, que c’est parce que le pays est avec lui. On aime aussi ce.qu’il y a de résolu dans son attitude. Son discours de Saint-Étienne n’a pas été seulement une dénonciation énergique de mœurs politiques abominables, mais une rupture avec ceux qui les