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IV

Rien sans ma seconde division, se disait Rochambeau. Dans ses dernières lettres, au moment de quitter la France, il avait pressé le Gouvernement de la lui envoyer quinze jours au plus après son propre départ. « Ce convoi, avait-il écrit à Montbarey, arrivera bien plus sûrement en partant vite avec deux vaisseaux, que dans un mois sous l’escorte de trente vaisseaux, s’ils étaient dans ce port, quand une fois les Anglais seront en face, vis-à-vis. » Et encore, embarqué sur le Duc-de-Bourgogne : « Au nom de Dieu, monsieur, pressez-nous cette seconde division… nous allons partir. » Mais les semaines et les mois s’écoulaient sans qu’on apprit rien de la seconde division. Washington avec son ardent patriotisme, La Fayette avec son juvénile enthousiasme, suppliaient Rochambeau de tout risquer quand même, pour prendre New York, la grande forteresse des ennemis et le centre de leur pouvoir. « Je pense, répondait Rochambeau, que notre général (Washington) ne veut pas que nous fassions ici le tome II de Savannah, » et il demeurait d’autant plus inquiet qu’avec le va-et-vient des recrues et les engagemens à court terme, Washington, écrivait-il, « commande tantôt 15 000 hommes tantôt 5 000. » Il se décida en octobre à expédier en France son fils, alors colonel du régiment de Bourbonnais. L’envoyé, qui jouissait d’une excellente mémoire, avait, en prévision d’une capture possible, avec jet de ses dépêches à la mer, pris la précaution, d’en apprendre le texte par cœur. Un des meilleurs marins de la flotte fut choisi pour le transporter. Comme des forces anglaises supérieures montaient la garde à la sortie du port, le commandant attendit quelque nuit de tempête où la surveillance serait moins étroite ; au bout de huit jours, il en survint une ; l’Amazone risqua de passer, fut reconnue, mais tardivement, chassée par les Anglais, perdit ses mâts, les répara et atteignit Brest en sûreté. Le marin qui s’était si bien tiré de cette aventure et qu’attendait une fin tragique à Vanikoro, portait le nom, célèbre depuis, de La Pérouse.

Les jours passaient, tristes jours pour la cause américaine. Une fois la nouvelle venait qu’un des généraux sur qui on comptait le plus, fameux pour ses services sur terre et sur les lacs, Benedict Arnold, avait trahi et passé aux Anglais ; un autre