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chaque instant plus critique : elle est même accompagnée de beaucoup de dangers, et toute mesure qui pourra être prise pour leur assistance serait d’un avantage infini… La situation de M. le marquis de La Fayette et celle du général Green sont très embarrassantes depuis que lord Cornwallis a joint la division anglaise de la Chesapeake. Si la Virginie n’est pas secourue à temps, les Anglais auront atteint le but qu’ils se sont proposé par les mouvemens audacieux qu’ils ont faits au Sud, et ils auront réellement l’air d’avoir conquis les États méridionaux… Je vais écrire à M. de Grasse, comme vous le désirez ; de votre côté, saisissez toutes les occasions qui se présenteront et multipliez beaucoup les expéditions de vos lettres, » à cause des captures possibles ; « il n’est pas simplement désirable qu’il vienne au secours des États opprimés, la chose paraît devenir de la nécessité la plus pressante. » Il faut même, non seulement qu’il vienne, mais qu’il amène ce qu’il pourra réunir de troupes françaises aux Antilles, et ainsi serait compensée en partie l’absence de la seconde division.

Rochambeau fut vite persuadé. Avec son bon sens habituel, Washington consentit de son côté à renoncer au projet qu’il avait si longtemps chéri, non toutefois sans des regrets dont, jusqu’en juillet, sa correspondance porte encore des traces. Dès le 28 mai, Rochambeau avait écrit a de Grasse, le conjurant d’accourir avec toutes ses forces, d’apporter tout l’argent qu’il pourrait emprunter dans nos colonies, de prendre à bord le plus d’hommes possible de nos garnisons des Antilles. Le général n’avait pas oublié l’offre de Saint-Simon de venir faire campagne avec lui et comptait sur son bon vouloir ; après avoir décrit l’extrême importance de l’effort à tenter, il concluait : « Voilà l’état des affaires et de la crise très forte où se trouvent l’Amérique et spécialement les Etats du Sud dans le moment actuel. L’arrivée de M. le comte de Grasse peut tout sauver… »

Les événemens avaient pris un tel cours que le sort des Etats-Unis et le destin de plus d’une nation allaient se trouver pour quelques semaines aux mains d’un seul homme, et d’un homme grandement gêné par des instructions qui l’obligeaient, dans un temps où les marins ne pouvaient pas, comme depuis, commander aux vents et aux vagues, à se trouver à date fixe aux Antilles par suite d’arrangemens pris avec les Espagnols. Accepterait-il de courir des risques si graves et que répondrait