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mince écume aux volutes des lames sillonnées en tous sens par le mouvement des tartanes levantines que la houle balance comme des gondoles au rythme des remous légers. Il y a des instans merveilleux où la mer est gaufrée d’or, pointillée de diamans, lustrée de glacis soyeux, parée de fleurs illusoires et de bijoux féeriques, enluminée comme à plaisir par l’invisible artiste qui dispose apparemment de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, pour donner, chaque jour, aux habitans de cette contrée maritime, une fête nouvelle. Tout, en effet, parait neuf dans la perpétuelle nouveauté de cette lumière qui reste matinale à toutes les heures du jour. C’est une fraîcheur d’aquarelle, rajeunie sans cesse, lavée miraculeusement par une impalpable effusion de clarté fluide, où la glorieuse évidence du passé se mêle aux rayonnantes promesses de l’avenir. Les montagnes, au-dessus des eaux, étagent de gradin en gradin, dans l’éther sublime, la verdure de leurs terrasses boisées d’oliviers et de platanes ou la splendeur de leurs roches hautes, superbement incendiées, auréolées d’azur ardent et toutes sculptées, comme des blocs de marbre, tantôt en creux, tantôt en relief, par l’alternance des ombres et des rayons. Si l’on a des yeux avides d’images, on s’attarde volontiers dans cette contemplation éblouie. Mais il suffit d’avoir un cœur accessible aux émotions humaines pour participer au lyrisme ingénu et spontané qui, récemment, inspira ce paysage et donna une âme nouvelle au décor de la vie antique, soudain modernisée par les émouvantes péripéties des drames du temps présent.


Chio, samedi, 28 juin 1913.

Le timonier de service est venu dire à l’officier de quart, sur la passerelle du Mycali :

— Capitaine, on approche de Chio.

En approchant de cette île, que j’ai visitée autrefois, et qu’après une absence déjà longue, je trouve transformée à souhait, j’aperçois, sur le quai récemment construit par la compagnie du port, un grand rassemblement d’hommes endimanchés, de femmes, d’enfans en habits de fête. Toutes les barques, fraîchement bariolées des plus joyeuses couleurs, vermillon, jonquille, bleu-turquoise, vert-émeraude, jaune-citron, rouge-corail, safran, aurore, sont ornées de tendres feuillages et de