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glorieux privilège de notre nation, que rien de grand ne puisse s’accomplir en ce monde sans que son nom soit prononcé. J’ai entendu ce nom, publiquement associé par une poignante prédication à la joie de tout un peuple, retentir dans cette basilique métropolitaine de l’Archipel, comme un symbole de délivrance et comme un signal de résurrection. J’ai vu, à ce moment, combien rayonne le génie bienfaisant et secourable de notre patrie, et comment on ressent, à l’heure des crises décisives où l’histoire se confond avec la poésie dans le dénouement d’un grand drame, les palpitations de son généreux cœur.

J’apprends à mieux connaître mon pays en voyant ce qu’il représente aux yeux des populations chrétiennes qui, après un long servage, ont pu enfin goûter les fruits savoureux de la liberté. Vraiment, il n’y a pas dans le moindre îlot de cet Archipel, enfin délivré d’une sujétion séculaire, un seul raïa libéré qui ne se croie redevable d’un tribut de reconnaissance envers le peuple français, considéré partout comme un peuple libérateur. Notre histoire a laissé dans la mémoire des hommes un tel sillage de gloire, que les assauts de la fortune adverse n’ont jamais pu effacer, au cours des siècles révolus, cette trace lumineuse. Le plus humble des enfans de la France maternelle bénéficie à toute heure, en tout lieu, d’un héritage immatériel et sacré. C’est comme un capital, accumulé par le prodigieux labeur de ceux qui nous ont précédés dans la vie, et qui continuent d’ennoblir notre existence par l’invisible tutelle de leurs inestimables bienfaits. Je tiens à m’expliquer à moi-même ce que je vois et ce que j’entends ici… Est-ce qu’il n’y a pas, dans ce spectacle d’aujourd’hui, un évident ressouvenir des Français d’autrefois ? Est-il nécessaire d’être un historien spécialement versé dans l’étude des générations défuntes, pour savoir qu’un bon Français, attiré vers l’Orient par son goût des voyages avant d’y être fixé par les malheurs de sa vie, messire Jacques Cœur, natif de Bourges, en son vivant maître des monnaies, argentier du roi Charles VII, compagnon d’armes des plus célèbres capitaines français, tels que Dunois, Xaintrailles, La Hire, ensuite capitaine général du pape Nicolas V contre les Infidèles, vint mourir à Chio, le 25 novembre 1456, et que sa dépouille mortelle fut ensevelie ici même en l’église des Cordeliers ?… J’ai appris aussi, en lisant des livres d’histoire, que le marquis de Nointel, ambassadeur du roi Louis XIV auprès de